Trajectoires d’Aaron Sorkin (2021) de Mathieu Demaure (Lettmotif, 2021)

L'esprit de Sorkin

Pour être tout à fait honnête, j’ai abordé cet ouvrage à reculons. Primo parce que je ne connais quasiment pas le travail d’Aaron Sorkin (en fait, je n’ai vu qu’un seul film parmi ceux pour lesquels il a travaillé : The Social Network de Fincher). Deuxio parce que j’ai une sainte horreur des séries télévisées et que c’est dans ce domaine que s’est illustré principalement notre scénariste. Non seulement je n’ai jamais regardé un épisode d’A la Maison Blanche mais je ne soupçonnais même pas l’existence de ces séries que sont Sports Night, Studio 60 on the Sunset Strip et The Newsroom !

En dépit de tous ces obstacles, je dois reconnaître d’emblée que ce livre fut une bonne surprise pour le néophyte que je suis. Car même lorsqu’il se réfère à des épisodes précis ou à des scènes en particulier, Mathieu Demaure reste toujours clair et accessible pour les non-spécialistes. Privilégiant une approche globale du corpus « sorkinien », il n’a recours à des exemples précis que pour illustrer une démonstration particulièrement fluide.

Comme son titre l’indique, Trajectoires d’Aaron Sorkin narre la success story d’un jeune homme qui signe à 28 ans une pièce jouée à Broadway et qui lui ouvre les portes d’Hollywood : Des hommes d’honneur. L’intelligence de Mathieu Demaure est de ne pas séparer la biographie de l’analyse plus thématique. Il tricote un récit où se mêlent un portrait vivant de Sorkin, entre ses succès, ses coups durs (son addiction à la drogue dans les années 90) et les petites polémiques qui entachèrent son parcours ; et des analyses plus précises autour de son style (son goût pour les longs dialogues dits à grande vitesse, notamment pendant que les personnages marchent – le « Walk and Talk ») et ses thématiques fétiches :

« Trois grands thèmes nourrissent son œuvre : la politique, le sport, le droit. Quels que soient les sujets qu'il aborde, les histoires qu'il raconte, les péripéties qu'il invente, il en revient toujours à ces fondamentaux. »

La richesse du livre tient à sa diversité : ni analyse pointue pour les fans hardcore du scénariste, ni biographie où l’anecdotique l’emporterait, l’auteur parvient à mêler des réflexions assez pointues jusqu’à la maniaquerie (ses petits tableaux où il note le nombre de plans que comptent les ouvertures des séries et films auxquels il a participé ou encore le nombre de mots prononcés par les personnages) à des anecdotes vivantes, des extraits de dialogues (souvent savoureux) ou d’interviews. L’ensemble compose un tableau assez riche et permet de se familiariser avec un homme dont la principale source d’inspiration reste la Screwball Comedy (de Hawks à Wilder en passant par Preston Sturges) et qui fait toujours confiance à l’intelligence de son spectateur pour faire passer un message humaniste et démocrate. Demaure analyse bien le rôle du collectif chez Sorkin, sa méfiance envers Internet ou ses procédés scénaristiques et de dialoguistes (son art de la répétition et de la boucle). Son écriture est fluide et sa biographie se lit avec un grand plaisir, même pour un lecteur comme moi qui n’avais pas les références en tête. Notons pour les cinéphiles que l’œuvre cinématographique, même si elle est traitée, est moins analysée que l’œuvre télévisuelle.

Au bout du compte, même si je ne suis pas certain d’avoir plus envie de découvrir l’œuvre de Sorkin (parce que sa propre réalisation Le Grand Jeu n’a pas l’air terrible et que je renâcle toujours à l’idée de voir les films de Danny Boyle – Steve Jobs-), je serai sans doute plus vigilant si je vois passer le nom de Sorkin et aurai désormais en tête quelques clés pour appréhender son style…

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