Asphalte (1980) de Denis Amar avec Carole Laure, Jean Yanne, Jean-Pierre Marielle, Georges Wilson, Louis Seigner, Etienne Chicot (Éditions Studio Canal : collection : Make my Day !)

© Studio Canal

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Je me souviens que lorsque j’étais jeune cinéphile, il était courant de se gausser de Télérama qui, systématiquement, soutenait les films dès qu’ils dataient d’avant les années 60 et/ou étaient en noir et blanc. Or cette tentation nostalgique de porter aux nues un film dès qu’il a plus de 40 ans n’a évidemment pas disparu et se traduit aujourd’hui par les redécouvertes enamourées d’œuvres des années 70/80 qui ressortent en grandes pompes (adoubées, s’il vous plait, par Jean-Baptiste Thoret, le pape de la cinéphilie branchée) pour devenir soudainement d’incontestables chefs-d’œuvre.  

Deux choses sont à noter face à ce phénomène. D’un côté, le risque de tout niveler (André Cayatte qui deviendrait un cinéaste aussi important que Becker ou Renoir) et de faire prendre les vessies pour des lanternes sous le simple prétexte que des quinquagénaires auraient plaisir à honorer des « madeleines » vues autrefois à la télévision. De l’autre, il ne s’agit pas de jouer les Michel Ciment s’effarouchant qu’on célèbre le cinéma « bis » ou moins connoté « auteur ». Cette redécouverte participe aussi d’un désir sain de revoir les œuvres avec le recul du temps. Certaines ont pu être mal comprises à leur époque ou, tout simplement, gagner une certaine patine parce que les temps ont changé et qu’elles témoignent d’une époque à jamais révolue (les films d’horreur des années 70 pouvaient paraître complaisants et racoleurs à leur sortie : ils témoignent aujourd’hui de façon très forte d’un air du temps disparu).  

Il s’agit donc de faire la part des choses entre une nostalgie un peu poisseuse et un désir tout à fait légitime et sain d’explorer d’autres territoires que ceux balisés par la cinéphilie « officielle » et son corpus d’auteurs indéboulonnables.

Dans le cas d’Asphalte, premier film de Denis Amar qui se tournera assez rapidement vers la télévision après avoir réalisé quelques films musclés (L’Addition) ou poussiéreux (Hiver 54, l’abbé Pierre), il me semble que c’est la première option qui préside à cette exhumation.

Le cinéaste nous offre un film choral se déroulant sur une autoroute un 31 juillet, sous un soleil de plomb. Plusieurs personnages vont voir leur destin basculer ce jour-là et vont être marqués par un accident (le film en compte trois). Le plus intéressant dans Asphalte, c’est l’atmosphère assez bien rendue de ce qu’Alain Paucard nommait dans un pamphlet « le cauchemar des vacances ». Aires d’autoroutes où stationnent des familles en short, stations-services sordides, motels anonymes, serveurs de relais libidineux et du bitume à perte de vue. On sent que Denis Amar aimerait faire ressortir l’étrangeté de cet univers pourtant très familier où tout peut basculer du côté du fait divers (comme le montrera admirablement Catherine Breillat à la fin d’A ma sœur) et de l’horreur absolue. Autour de ce tableau de la route gravitent d’autres personnages qui lui sont liés, qu’il s’agisse du chirurgien blasé incarné par Georges Wilson ou de ce ferrailleur joué par Etienne Chicot évoluant au milieu d’un cimetière de carcasses de bagnoles fracassées.

Les meilleurs moments du film sont ceux qui échappent un peu au cadre du récit, sorte de parenthèses suspendues qui n’apportent rien à la narration mais instaurent un climat étrange et triste, à l’image de cet homme accidenté partant à la dérive sur l’autoroute avec un bout de métal planté dans le cou. Ou encore la scène où Louis Seigner vient récupérer de menues affaires dans la voiture accidentée de son fils décédé.

© Studio Canal

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A côté de cela, le film me paraît quand même assez anecdotique dans la mesure où il n’est pas très bien construit et – à mon sens son plus grave défaut-, les personnages sont très mal dessinés. Soit ils sont caricaturaux à mort (Marielle dans son éternelle défroque de français moyen râleur et beauf), soit ils sont dénués de toute crédibilité (la relation qui se noue entre Carole Laure et Jean Yanne est totalement invraisemblable). De plus, Denis Amar ne se départit pas totalement d’une posture moralisatrice parfois un peu pénible. Prévisible depuis le départ, le segment du film avec Jean-Pierre Marielle ne semble exister que pour arriver à la remarque odieuse du chirurgien Georges Wilson et sa petite leçon de morale à deux balles. Lorsque Godard s’attaque à la civilisation automobile dans Week-end, c’est davantage à un système qu’il s’en prend plutôt qu’aux individus. Comme le soulignait le critique de la Saison cinématographique 81, dans Asphalte, les pauvres sont « beaufs », irresponsables et dangereux tandis que le grand bourgeois, joué par Jean Yanne, sera victime d’un accident en raison de l’imprudence des autres. Mais au-delà de cette lecture « sociologique », le film ne convainc pas en raison du manque d’épaisseur des personnages et du peu de crédit qu’on accorde aux situations. Quand on croise un neuneu un peu collant, on ne cherche pas, pour s’enfuir, à traverser à pied une autoroute avec de grosses valises !

Avouons d’ailleurs que, même si c’est une actrice que j’adore habituellement, Carole Laure n’est pas bonne du tout dans le film (sans doute mal dirigée) et qu’elle passe d’une émotion à l’autre sans qu’on y croie un instant (giflée par Yanne le soir, elle lui tombe quasiment dans les bras le lendemain alors qu’il a un profil identique à l’homme qui l’a abandonnée).

Reste alors quelques silhouettes insolites qui traversent le film le temps d’un plan ou deux : Christophe Bourseiller en apprenti garagiste (!), Christian Morin arpentant les routes de France dans la voiture d’Europe 1 et contraint de boire un mousseux chaud le temps de son émission débile, Christophe Lambert en standardiste au bloc opératoire ou Richard Anconina en petit voyou récupérant des affaires éparpillées sur la route après un accident…  

Même si on décèle ça-et-là quelques qualités de mise en scène, Asphalte relève plus du film préfabriqué pour nostalgiques des années 80. Et si je me réjouis que l’offre DVD et BR nous permette de découvrir des films un peu oubliés des années 70/80, j’aimerais que ce travail d’exhumation soit également effectué pour de grands auteurs dont certains films sont difficilement visibles aujourd’hui (je pense à certains Doillon, Breillat ou Makavejev, par exemple).

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