Possessor (2019) de Brandon Cronenberg avec Andrea Riseborough, Christopher Abbott, Jennifer Jason Leigh. (Éditions The Jokers) Sortie en DVD et BR le 14 avril 2021

© The Jokers

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Difficile de se faire un prénom dans le cinéma lorsqu’on est « fils de », a fortiori lorsqu’on s’appelle Cronenberg. Après un premier essai réalisé en 2012 (Antiviral), Brandon Cronenberg n’a pas choisi la facilité en signant son deuxième long-métrage, Possessor, car la tentation de comparer les deux univers est immédiate.

Thriller science-fictionnel, le film narre les aventures d’un agent, Tasya Vos (Andrea Riseborough), qui travaille pour une agence très spéciale. En effet, grâce à une technologie neurologique de pointe, elle peut prendre possession de n’importe quel corps et commettre des crimes sous les traits d’une autre personne. Tout irait bien si Vos ne perdait pas parfois le contrôle des corps hôtes, à l’image de cette première femme qui refuse de se suicider alors qu’il s’agit de la procédure habituelle en fin de mission pour effacer toutes les preuves.

Avec un sujet pareil, difficile de ne pas songer au cinéma de David Cronenberg et à ses obsessions : le rapport entre la technologie et l’organique, les troubles de l’identité, la possibilité -comme dans eXistenZ- d’évoluer sous les traits d’un avatar virtuel, l’utilisation de pouvoirs purement psychiques par des complexes industriels comme dans Scanners… Ces références écrasent un peu un film par ailleurs parfois un peu trop appliqué (c’est ma principale réserve) : construction scénaristique très classique, mise en scène froide et quasi chirurgicale (le laboratoire où se déroule les transferts d’identité…)…

Pourtant, Possessor s’avère être un film intrigant et réussi. Brandon Cronenberg joue habilement sur les conflits existant entre la personnalité du corps hôte et celle de l’esprit de Vos. Christopher Abbott est un acteur plutôt fade mais lorsqu’il est « possédé », cette espèce d’air éthéré qu’il a toujours rend parfaitement cette sensation de flottement de ce corps où deux entités s’affrontent. Une scène amusante renverse d’ailleurs les clichés en la matière. En effet, on a déjà vu (Docteur Jekyll et Sister Hyde de Roy Ward Baker, Dans la peau d’une blonde de Blake Edwards…) des hommes dans la peau d’une femme mais, cette fois, c’est la femme qui découvre son nouveau corps masculin et qui se livre au même genre de rituel, contemplant sa poitrine plate dans un miroir ou palpant son sexe.

Pour figurer les interférences entre ces corps et l’esprit de Vos, Cronenberg junior a recours à quelques trouées lynchiennes (musique oppressante, flashs visuels, plans heurtés et quasiment abstraits) qui contrastent avec la dimension clinique de la mise en scène. Car comme tout film de science-fiction reposant sur les évolutions technologiques, ce sont les accidents et les accrocs qui précipitent le récit et en font le sel (l’ordinateur HAL de 2001, l’odyssée de l’espace ne me contredira pas). D’une certaine manière, le cinéaste s’intéresse à l’évolution de la nature humaine à l’heure où il est possible d’investir de nouveaux avatars virtuels et vivre une autre existence sous diverses identités. Il l’illustre de manière littérale et très « cronenbergienne » (père) puisque ces avatars sont ici de véritables corps et le « virtuel » se confond avec l’organique. Habilement, il joue sur la métonymie de la pénétration puisque cette capacité d’entrer dans d’autres corps est mise en parallèle avec des scènes de sexe associées à des scènes de meurtres (le couteau planté dans la gorge comme fantasme de Vos lorsqu’elle fait l’amour avec son mari).

Il n’est évidemment pas question de vous dévoiler la fin mais, là encore, Brandon Cronenberg parvient à laisser planer une ambiguïté assez vertigineuse et à brouiller les cartes. Si Vos peut profiter d’autres corps pour se livrer à des actes réprouvés par la loi, elle peut aussi agir en révélateur en exacerbant la violence enfouis profondément chez ses victimes et se faire dépasser par ladite violence.

Cette zone de flou qu’explore avec un certain talent Cronenberg fait tout l’intérêt de Possessor et donne à penser que le cinéaste parviendra par la suite à se débarrasser de ses références écrasantes pour parvenir à se faire véritablement un prénom.

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