Un point de vue féminin
Une dernière fois (2020) d’Olympe de G. avec Brigitte Lahaie (L.C.J Éditions) Sortie en DVD/BR le 14 avril 2021
Alors que Jean-Luc Godard s’apprêtait à présenter La Femme mariée, il se heurta à la censure et dut changer de titre (Une femme mariée) pour pouvoir sortir son film en salles. Avec le recul, on peut se dire que ce second titre qui évite la généralisation hâtive est meilleur. De la même manière, on peut légitimement s’interroger sur une critique qui entend circonscrire « LE regard féminin » comme si le seul fait d’être une femme assurait une spécificité au regard porté sur les choses. Il ne s’agit pas de polémiquer autour de l’essai d’Iris Brey puisque je ne l’ai pas lu (seulement quelques passages et plusieurs déclarations de l’auteur) mais plutôt s’interroger sur cette notion de « regard féminin » dans le cadre très spécifique du cinéma porno. En effet, souvent regardé à des fins masturbatoires, ce genre pourrait représenter la quintessence d’un « regard masculin » (ne comptez pas sur moi pour utiliser l’immonde expression anglo-saxonne que Kechiche a joliment traduite en « merguez ») avec des femmes réifiées pour le seul assouvissement de la jouissance masculine. A contrario, lorsque les femmes décident de s’essayer à la pornographie, la différence devrait être immédiatement patente. Or il y a quelques années, Canal + avait passé commande à un certain nombre de femmes cinéastes afin qu’elles tournent des courts-métrages explicites. Intitulé X-Femmes, le résultat prouvait que cette présumée pornographie féminine ne se distinguait en rien de la pornographie masculine, qu’elle pouvait être tout aussi laide et vulgaire (voir l’horrible segment signé Héléna Noguerra ou le nullissime essai d’Arielle Dombasle), astucieuse mais pas fondamentalement différente en matière de représentation du sexe (au hasard, les films de Lola Doillon et Zoé Cassavetes) et que lorsqu’elle se distinguait vraiment du tout-venant du hard (comme c’est le cas avec le Enculées de Laetitia Masson), c’est parce que la réalisatrice prenait le parti de contourner la commande. Il ne s’agissait pas alors d’un regard « féminin » mais d’un point de vue d’auteur (un homme n’aimant pas la pornographie -ça existe !- aurait pu jouer avec les mêmes procédés). Finalement, la seule qui parvenait à honorer la commande et à faire preuve d’une sensibilité que nous qualifierons (sans doute schématiquement) de « féminine » était Caroline Loeb qui, dans Vous désirez ? réussissait à filmer joliment une très tendre scène d’amour lesbien.
Avec Une dernière fois, Olympe de G. parvient à la fois à créer un dispositif astucieux qui lui permet de contourner les figures imposées du cinéma pornographique classique et, comme Caroline Loeb, elle se focalise sur la question du désir et du plaisir féminin. Salomé (Brigitte Lahaie) a 69 ans et a décidé qu’elle ne voulait pas vieillir. Mais avant de partir, elle voudrait faire l’amour une dernière fois. Sous l’œil de la documentariste Sandra, elle organise un casting pour choisir le ou la prétendante avec qui elle partagera cette « dernière fois ».
Le dispositif semi-documentaire se révèle vite astucieux car il permet de jouer constamment sur deux tableaux. D’un côté, la fiction et cette « dernière fois » de Salomé ; de l’autre, le documentaire sur Brigitte Lahaie et son retour devant une caméra, sans doute pour la dernière fois également (du moins, dans un « porno »). Olympe de G. joue assez habilement sur ce va-et-vient et lorsque Salomé s’inquiète de son corps qui vieillit ou refuse que la documentariste filme son sexe, le spectateur peut y lire les doutes de l’actrice (qui est toujours, entre parenthèses, absolument superbe et globalement convaincante dans le rôle).
D’un point de vue de la représentation du sexe, la cinéaste parvient comme Caroline Loeb à filmer du désir et du plaisir au cœur d’un genre très stéréotypé et hanté par la simple monstration de gestes mécaniques. Il n’y aura pas dans Une dernière fois de gros plans gynécologiques (même si le film est explicite et très cru) mais une caméra tenue à l’épaule qui frôle les corps et s’attarde aussi sur les visages. De la même manière, puisque c’est le plaisir féminin qui est au cœur du projet, nous ne verrons ni fellation (quel soulagement !), ni éjaculation (sauf une mais féminine) et lors des (rares) scènes de pénétration, c’est la femme qui chevauchera son partenaire.
Cette manière d’envisager la pornographie est souvent intéressante et, globalement réussie (toutes proportions gardées : en matière de mise en scène, ce n’est quand même pas non plus L’Empire des sens). On regrettera peut-être juste un côté militant pète-sec qui donne parfois au film un côté « programmatique ». On a ainsi le sentiment qu’Olympe de G. veut absolument tenir le cahier des charges du panel représentatif. Alors comme il est question du plaisir pour les femmes plus âgées, il ne faudra pas oublier les handicapés (un homme en fauteuil roulant), les Noirs et les grosses. De la même manière, si l’on se réjouit de voir des corps féminins « différents » de ce que nous offre le tout-venant de la pornographie (Dieu merci, on échappe à l’abominable mode de l’épilation intégrale qui sévissait il y a encore quelques années), la cinéaste se montre plus conservatrice quant aux hommes qu’elle montre : jeunes, beaux et aux chibres disproportionnés. Quand un vieillard de 80 ans vient sonner à la porte de Salomé, celle-ci le chasse sans ménagement car il a menti sur son âge. Sandra se moque d’ailleurs gentiment d’elle (« l’âge, c’est d’accord mais uniquement pour toi ! ») et la scène est d’autant plus amusante que c’est Francis Mischkind, le plus grand producteur et distributeur de films pornos de la grande époque, qui tient le rôle de l’homme éconduit.
Ce volontarisme est parfois astucieux, à l’image de cette scène où Olympe de G. renverse les situations et les clichés en « objectivant » son modèle masculin qui effectue un torride strip-tease (j’aimerais bien savoir si ce genre de fétichisation produit de l’effet sur la gent féminine). D’autres fois, il paraît un peu artificiel, notamment au moment où débarque le couple qui évince finalement Salomé de la scène (elle se caresse mollement et sans grande conviction en les regardant faire l’amour).
Peut-on alors, dans le cas d’Une dernière fois, parler de « regard féminin » ? Plutôt d’un point de vue de cinéaste (ce qui est un minimum !) et d’une volonté de mettre en avant les femmes dans le cadre d’un genre davantage prisé par les hommes. Sans être parfait, le résultat est stimulant et intéressant, prouvant que le cinéma pornographique peut être un genre comme un autre à condition qu’on y filme du désir, du jeu, du plaisir, des doutes, des dysfonctionnements et des accrocs : bref, de la vie.