Une histoire du cinéma français : 1940-1949 (2021) de Philippe Pallin et Denis Zorgniotti (Editions Lettmotif)

Les années 40 au cinéma

Bien que le sujet ait été traité de nombreuses fois (ne citons que les ouvrages de Raymond Chirat, de Jacques Siclier ou de Pierre Billard), c’est toujours avec un œil bienveillant que nous voyons venir ce genre de projet encyclopédique. Cela peut sans doute sembler paradoxal d’écrire ça à une époque où un simple clic nous permet d’accéder à toutes les bases de données imaginables, qu’il s’agisse d’IMDB ou même Wikipédia qui reste, la plupart du temps, un outil relativement solide. Mais c’est justement parce que nous sommes submergés par ces données, ces informations que nous avons besoin d’un regard synthétique et d’un point de vue qui permettent de replacer les données dans un contexte historique, de les regrouper et de les hiérarchiser.

Les éditions Lettmotif annoncent pour le moment une encyclopédie en sept volumes couvrant la période des années 30 aux années 90. Difficile de dire s’il y aura deux volumes après pour couvrir les années 2000 (pas assez de recul ?) d’autant plus qu’un des deux co-auteurs de ces ouvrages (Philippe Pallin) est malheureusement décédé prématurément en mai 2020.

Le parti-pris des auteurs est assez simple puisqu’il consiste à dérouler le fil de cette histoire année par année. Ils débutent par une courte présentation générale des événements ayant eu lieu avant de sélectionner un « film de l’année » puis de faire des zooms sur d’autres œuvres importantes sorties au même moment (qu’ils séparent dans deux rubriques différentes : « coup de cœur » et « gros plan »). Sur le modèle du Dictionnaire des films autrefois rédigé sous la direction de Bernard Rapp, les auteurs sélectionnent un certain nombre de films de l’année bénéficient d’une analyse plus ou moins poussée. Après les films, un réalisateur, une actrice et un acteur ont droit à un portrait plus étayé (on débute par Edwige Feuillère en 1940 et on termine par Gérard Philipe en 1949). Enfin, pour conclure le tableau de l’année, un petit dossier thématique nous est proposé, qu’il s’agisse de la question des colonies au cinéma ou de certains registres adoptés par le cinéma français durant cette décennie (le fantastique, le documentaire).

Même si on attend avec impatience la suite de ces ouvrages, il semble peu probable qu’ils se révèlent révolutionnaires ou qu’ils proposent un regard singulier sur cette histoire du cinéma français. On trouvera en effet ici le corpus des films que l’on pouvait attendre avec bien évidemment Les Enfants du Paradis, Le Corbeau et les réalisateurs vedettes de cette époque : Grémillon, Duvivier, Carné, Autant-Lara, Clouzot, Becker… Des cinéastes plus académiques comme Christian-Jaque ou Decoin sont remis à l’honneur mais cela n’empêche pas les auteurs de louer à juste titre Pagnol ou Bresson. A l’inverse de l’histoire d’Hollywood revisité par Berthomieu, on ne trouvera pas ici de traces de gros dissensus ou de propos polémiques. On pourra d’ailleurs presque le regretter mais il faut prendre le livre pour ce qu’il est : une tentative de vulgarisation au sens noble du terme (les spécialistes n’y apprendrons sans doute rien de nouveau).

Après, ce choix de traiter cette histoire année par année n’est pas sans soulever quelques interrogations. La première, et c’est à mon avis le plus gros défaut du livre, c’est qu’entre les analyses thématiques et les focus sur des films et des œuvres, les répétitions paraissent inévitables. Et c’est le cas puisque de nombreuses choses sont redites parfois jusqu’à quatre ou cinq fois (que le cinéma français ne produisit pas de véritables œuvres propagandistes ou antisémites, par exemple, ou encore l’anecdote du « bon mot » du critique collaborationniste Alain Laubreaux parlant de Jean Marais comme de « L’homme au Cocteau entre les dents » et qui lui valut une correction de la part de l’acteur).

Je me demande si avec un découpage chronologique comme ça, la forme d’un almanach (comme l’avait proposé Philippe d’Hugues au moment du centenaire de la naissance du cinéma) n’aurait pas été plus appropriée. Car ces approches transversales et synthétiques ne s’accordent pas facilement avec le cadre rigide des dates (d’autant plus que les années 40 constituent sans doute l’une des décennies les moins « homogènes » entre le cinéma sous l’Occupation et celui d’après-guerre).

On sera ainsi assez étonné de voir quelques dossiers thématiques (comme ceux sur le fantastique ou la prostitution féminine à l’écran) évoquer des œuvres beaucoup plus contemporaines (comme le Saint Ange de Laugier ou Mon homme de Blier). Peut-être que ce parti-pris se révèlera fructueux dans un ensemble complet mais cela sonne étrangement, dans un livre centré sur les années 40, de voir traiter d’œuvres quasiment toutes situées hors de la période (c’est particulièrement flagrant dans le dossier sur la prostitution).

Ces réserves posées, l’entreprise est loin d’être inintéressante. C’est un travail documenté et sérieux et qui propose une synthèse relativement complète du sujet. A titre personnel, on aurait préféré quelque chose d’un peu plus tranchant (pourquoi, par exemple, ne pas aborder la question des grands succès populaires et faire des zooms sur des cinéastes plus -Jean Boyer- ou moins -André Berthomieu- intéressants ?) voire subjectif (qu’on dise une fois pour toute que Les Enfants du Paradis n’est en aucun cas le plus beau film jamais produit en France, par exemple).

Mais l’ensemble est de bonne tenue et s’avère un outil solide à la fois pour les étudiants en cinéma mais également pour les cinéphiles qui parcourons avec intérêt ce panorama historique.  

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