L’Appel de la chair (1971) d’Emilio Miraglia avec Marina Malfati, Anthony Steffen, Erika Blanc

La dame rouge tua sept fois (1972) d’Emilio Miraglia avec Barbara Bouchet, Marina Malfati, Ugo Pagliai

(Éditions Artus Films)

© Artus Films

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C’est peu dire que le giallo est à l’honneur ces dernières années : dossiers dans les Cahiers du cinéma et La Septième obsession, numéro spécial de l’Ecran fantastique avec un panorama extrêmement riche et complet signé David Didelot, livres (tandis qu’on en annonce un chez Rouge Profond, celui de Frédéric Pizzoferrato est disponible chez Artus) … Bref, une actualité dense pour un genre qui fascine à juste titre les cinéphiles d’aujourd’hui.

On peut avancer l’hypothèse que si ces thrillers italiens attirent toujours l’attention, c’est que derrière les atours extrêmement séduisants du cinéma d’exploitation (ou comment conjuguer la violence et l’érotisme), ils furent également un véritable laboratoire d’expérimentations, qu’elles soient formelles (la flamboyance coloriste des films de Mario Bava et Dario Argento) ou narratives avec des récits-gigognes, des trouées oniriques (voir Le Venin de la peur de Fulci ou Le Parfum de la dame en noir de Barilli) et les rebondissements invraisemblables.

Les deux films d’Emilio Miraglia que nous proposent de (re)découvrir aujourd’hui les éditions Artus sont parfaitement représentatifs de ce double mouvement qui sous-tend le giallo. D’un côté, ils n’hésitent pas à recourir aux ingrédients du cinéma d’exploitation et à titiller le spectateur en lui procurant de délicieux frissons. Frissons d’effroi avec une violence graphique qui, sans atteindre les excès à venir de la décennie, n’est pas éludée (voir la victime qui s’empale sur les piques d’une grille dans La dame rouge tua sept fois, les renards qui déchiquettent un cadavre dans L’Appel de la chair) ; mais également frissons érotiques avec les scènes gentiment sadomasochistes de L’Appel de la chair… De l’autre, ces films sont portés par des mises en scène solides et inventives. Miraglia, cinéaste méconnu qui ne compte que six longs-métrages à son actif, mêle des éléments hétéroclites dans ces deux œuvres (machinations venues tout droit d’un des films matriciels du genre : Les Diaboliques de Clouzot, éléments oniriques qui donnent aux deux films un caractère « mental », atmosphère gothique et une solide direction artistique à tous les niveaux : cadre, photo, lumière (les jeux avec la couleur rouge), musique (deux belles partitions de l’incontournable Bruno Nicolai)) et parvient à rendre singuliers des récits au fond assez traditionnels.

Les deux films reposent sur une trame assez similaire. Dans les deux cas, les personnages sont hantés par un événement passé traumatisant et qui semble toujours entraîner des répercussions au présent. Dans l’Appel de la chair, Alan Cunningham ne s’est jamais remis de la mort de son épouse (qu’il avait surpris au bras de son amant) et se livre désormais à des jeux sadomasochistes avec des prostituées. Il rencontre un jour Gladys qui ressemble à s’y méprendre à son Evelyn décédée. Déjà hanté par le fantôme de sa femme, le Lord semble perdre définitivement la raison lorsque ses hallucinations se multiplient…

Dans La dame rouge tua sept fois, c’est une malédiction familiale qui donne le la du récit. A la suite d’une dispute, Kitty (Barbara Bouchet) a tué sa sœur Evelyn. Or selon une légende, la défunte doit revenir sous la forme d’une « dame rouge » et tuer six victimes avant d’assouvir sa vengeance sur sa propre sœur qui sera ainsi la septième victime.

© Artus films

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Ces giallos fonctionnent avec les mêmes mécanismes : un goût pour la machination tortueuse qu’on se gardera bien de dévoiler même si on peut dire qu’elle fonctionne largement mieux dans La dame rouge tua sept fois que dans L’Appel de la chair qui souffre un peu d’une fin totalement extravagante et invraisemblable qui le rapproche de certains fleurons du genre construits sur une logique cauchemardesque et rocambolesque (le Spasmo de Lenzi, par exemple). D’autre part, les deux films empruntent à la fois au thriller hitchcockien, à l’image de L’Appel de la chair où l’on peut déceler quelques références troublantes à Soupçons (avec un verre de lait qui joue un peu le même rôle) et Vertigo (la réapparition « d’entre les morts » de la femme aimée) mais également à un fantastique venu d’Edgar Poe, notamment dans ces malédictions ancestrales qui semblent frapper des familles d’aristocrates plus ou moins déchues. Dans les deux films, deux tableaux (image préexistante) semblent peser sur la destinée des personnages : le portrait de la défunte épouse dans L’Appel de la chair, la scène de crime représenté dans La dame rouge tua sept fois. Ce renvoi vers une image du passé permet au cinéaste de construire des « visions » que l’on peut interpréter comme des projections d’un esprit hanté et malade. Avant de tuer des prostituées dans L’Appel de la chair, Lord Cunningham revoit sa femme, nue, courir dans le parc du château pour aller rejoindre son amant. Dans La dame rouge…, Kitty est tourmentée par les réminiscences de sa dispute qui coûta la vie de sa sœur (très belle image du cadavre flottant dans l’eau avec une flaque de sang autour de la tête). Cette ambiguïté du statut des images vues permet de déstabiliser la perception des personnages (qui tirent les ficelles des machinations ?) et celui de spectateur.

Ces malédictions et ces fantômes permettent également à Miraglia d’imprégner au cœur d’un genre plutôt contemporain des éléments du cinéma gothique que Riccardo Freda fixa avec Les Vampires. Qu’il s’agisse de la crypte où git Evelyn dans La dame rouge tua sept fois ou de l’espèce de donjon aménagé par Cunningham dans L’Appel de la chair, le cinéaste joue avec ce décorum macabre (rats, cercueils poussiéreux, pièces lugubres…) pour distiller une atmosphère assez unique qui culmine avec la poésie des apparitions nocturnes de la « dame rouge », sorte d’avatar féminin des tueurs gantés de noir des giallos traditionnels.  

Si La dame rouge tua sept fois s’avère être une œuvre beaucoup plus aboutie et tenue avec son intrigue mieux charpentée que celle de L’Appel de la chair, les deux films se révèlent passionnants et séduisent aussi par leurs nombreuses trouvailles plastiques : des éclairages à la Bava, de beaux travellings qui dynamisent des récits se déroulant essentiellement dans de vastes manoirs, une manière de rendre vivants les éléments architecturaux (le contraste entre la chambre ultra-moderne – et très 70’- et les pièces en ruine du château dans L’Appel de la chair).

C’est donc deux nouvelles pépites du cinéma italien que les éditions Artus exhument aujourd’hui. Pour en savoir plus, on se reportera aux deux riches présentations effectuées par Emmanuel Le Gagne en supplément des deux galettes.

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