La Pièce rapportée (2020) d’Antonin Peretjatko avec Anaïs Demoustier, Josiane Balasko, Philippe Katerine

© Diaphana distribution

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Au moment du mouvement des Gilets jaunes, Antonin Peretjatko fut l’un des rares cinéastes à descendre dans la rue pour filmer ce mouvement de contestation avec sa caméra à l'épaule (il en a tiré un moyen-métrage intitulé Les Rendez-vous du samedi). Lesdits Gilets jaunes s’invitent également dans La Pièce rapportée puisque la scène d’ouverture est une scène de chasse à courre où les aristocrates prennent pour cible les prolétaires contestataires. Si le cinéaste évite (et c’est tant mieux !) de s’engouffrer dans la voie du « film à thèse », il parsème néanmoins son récit d’allusions drolatiques à l’actualité politique et aux abominations de la macronie : suppression de l’impôt sur la fortune (qui déclenche la liesse des membres de la richissime famille), l’hypocrisie et la vulgarité absolue de la notion de « ruissellement », la violence du techno-capitalisme et d’une surveillance généralisée qui annihilent les individus comme le montrent les premières scènes dans le métro où travaille la jeune Ava (Anaïs Demoustier)…

En trois films, Peretjatko a prouvé son goût pour la satire et l’absurdité d’un monde devenu fou (le « devenir stagiaire » des individus dans La Loi de la jungle, la grande compatibilité entre les dictatures, la loi du marché et la liberté d’entreprendre ici…). Mais cette inclination pour un registre qu’on pourrait qualifier de « politique » ne rend pas entièrement compte de la singularité de son style loufoque et foutraque. La tentation est grande de dérouler la litanie des références puisqu’on songe aussi bien à Feydeau pour le vaudeville et une illustration presque littérale du titre d’une de ses célèbres pièces (Mais n’te promène donc pas toute nue !) qu’à Mocky et à son humour acerbe et râpeux, s’appuyant sur une galerie de trognes invraisemblables (Balasko impayable en grande héritière revêche, paralysée sur son fauteuil roulant, Katerine en « fin de race » constamment en train de jouer sur son téléphone…) pour tirer à boulets rouges sur des conventions sociales absurdes. Mais par ailleurs, le réalisateur ne renâcle pas face aux gags « hénaurmes » et absurdes qui ne dépareilleraient pas dans certains films des Charlots tout en nous offrant de très beaux moments de mise en scène (le grand escalier de l’hôtel particulier familial permet de jolis jeux avec les plongées/contreplongées). Enfin, Peretjatko navigue également entre une ligne claire très BD (le détective qui observe sa proie dissimulée derrière un journal préalablement percé au niveau des yeux pour voir en toute discrétion) et une fantaisie qui m’a fait songer à certains films de De Broca, notamment ce rendez-vous au sommet de la tour Eiffel (Anaïs Demoustier m’a parfois fait penser à Marthe Keller dans Le Diable par la queue ou Les Caprices de Marie).

Pourtant, toutes ces références ne sont jamais pesantes et, en trois films, Peretjatko est parvenu à imposer un style unique. Un style qui peut laisser perplexe (je sais qu’il a beaucoup de détracteurs) mais qui, personnellement, m’enchante (même si je confesse avoir préféré La Loi de la jungle à cette Pièce rapportée).

Faut-il vous toucher deux mots des grandes lignes du récit ? Essayons de faire simple : Paul (Philippe Katerine), un héritier d’une riche lignée d’industriels, tombe amoureux d’une modeste guichetière : Ava (Anaïs Demoustier, qui s’impose une fois de plus comme l’une des plus délicieuses actrices que compte le cinéma français). Mais la mère paralysée de Paul, incarnée par Josiane Balasko, horrifiée par cette mésalliance, ne l’entend pas de cette oreille et fait suivre sa belle-fille, persuadée que celle-ci a un amant…

Inutile d’entrer dans les détails des multiples quiproquos qui parsèment le film mais on s’amuse beaucoup. Ce ne sont peut-être pas de francs éclats de rire mais un constant sourire aux lèvres face à cet éloge de l’aventure, de l’assouvissement des désirs (ces instants où il submerge les personnages, comme lors de l’hilarante scène d’amour entre Vincent Macaigne et Vimala Pons dans La Loi de la jungle), et d’une certaine légèreté. Certaines séquences, comme celle de la promenade en barque qui tourne mal, distille un vrai parfum de liberté, à mille lieues des comédies formatées que nous inflige la plupart du temps le cinéma français.

Et dans le contexte morose que nous connaissons, l’humour ravacholesque de Peretjatko a des allures d’antidote précieux.

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