Docteur Jekyll et Mr Hyde (1988) de Gérard Kikoïne avec Anthony Perkins (Éditions Sidonis Calysta) Sortie en DVD/BR le 17 février 2022

© Sidonis Calysta

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De la fin des années 70 au milieu des années 80, Gérard Kikoïne fut l’un des réalisateurs de films pornographiques les plus talentueux et les plus ambitieux. Même si je confesse n’avoir vu aucun de ses « films d’amour » (Les Délices du tossing, Dans la chaleur de Saint-Tropez, Bourgeoise et pute…), le cinéaste est visiblement parvenu à apporter un soin particulier à ses œuvres et à imposer une patte personnelle au sein d’un genre alors très formaté. Contrairement à ses collègues stakhanovistes, il ne se tourne pas vers la vidéo lorsque ce marché commence à supplanter la projection en salles et termine sa carrière en tournant pour les anglo-saxons (notamment deux aventures de Dragonard Hill pour la Cannon) avant de revenir en France le temps d’un épisode du Commissaire Moulin et quelques publicités.

Docteur Jekyll et Mr Hyde, tourné pour le fameux producteur britannique Harry Alan Towers (qui travailla avec Jess Franco, par exemple), est son avant-dernier long-métrage et une nouvelle variation autour du mythe de Docteur Jekyll et Mister Hyde imaginé par Stevenson. Le héros à double face est, cette fois, incarné par Anthony Perkins. Contrairement au roman, Jekyll ne travaille pas sur une drogue capable de séparer les bons côtés des mauvais mais sur un nouvel anesthésique révolutionnaire. C’est une mauvaise manipulation de son singe qui lui fait inhaler cette drogue et le transforme alors en criminel monstrueux.

Le film s’ouvre sur une scène onirique, sorte de trauma originel où le jeune Henry reluque un couple en train de faire l’amour et se retrouve sévèrement fessé lorsqu’il est découvert. Elle annonce ce que seront par la suite les scènes où, en transe, Mr Hyde fréquente des prostituées avant de les assassiner : un mélange d’érotisme agressif (mais très soft) et d’horreur sanglante (là aussi, plutôt hors-champ).

Ce qui frappe d’emblée, c’est le soin apporté à la mise en scène et la direction artistique par Kikoïne. Situé au 19ème siècle à Londres, le cinéaste joue sur le contraste entre la société britannique corsetée au sein de laquelle évolue Jekyll et les bas-fonds interlopes que nous fait visiter Hyde. Autant la réalisation est classique lorsqu’il s’agit de suivre Jekyll, autant elle devient baroque lorsqu’elle épouse le point de vue de Hyde : cadrages obliques, hystérisation des situations, stylisation agressive du décor et des éclairages (ce bordel où domine le rouge ou ces lumières artificielles qui déréalisent les extérieurs) … Comme le souligne Olivier Père dans sa présentation du film, Kikoïne oublie dans ces moments l’aspect « reconstitution » de son film et intègre des éléments contemporains anachroniques (les vêtements, les intérieurs…) qui rendent parfaitement le processus de dédoublement schizophrénique de son personnage.

Même si Kikoïne reprend le thème principal du roman de Stevenson, à savoir l’idée d’un homme régi uniquement par ses pulsions et désirs, en dehors de toute loi et de toute convention sociale ; il s’intéresse avant tout aux effets hallucinogènes de la drogue de Jekyll et à distordre la réalité en épousant son point de vue délirant. En ce sens, cette succession de séquences cauchemardesques évoque parfois certains Jess Franco (dont Kikoïne fut le monteur -son puis image- lorsqu’il travaillait pour Eurociné) et sa manière de construire des récits sur la seule « énergie du fantasme » (pour reprendre le titre du bel essai que Stéphane du Mesnildot a consacré au cinéaste).

Torturé par ces images délirantes, habité par cette folie, Anthony Perkins endosse avec conviction ce rôle double. On ne peut pas dire qu’il fasse toujours dans la dentelle (roulements d’yeux, cris et grands gestes…) mais sa manière d’investir le rôle est au diapason de la folie expressionniste que Gérard Kikoïne souhaite donner à son récit.

Comme le dit encore Olivier Père, Docteur Jekyll et Mr Hyde marque aussi le chant du cygne d’un certain cinéma d’exploitation. Il y a un côté « bis » dans ce film volontiers tapageur mais qui témoigne également d’un véritable amour pour cette forme de cinéma populaire à la fois un peu racoleur mais inventif.

Kikoïne a réussi son pari : donner une vision personnelle du mythe de Stevenson tout en lui restant fidèle. De quoi passer un bon moment pour les amateurs de films horrifiques.

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