Le crime en héritage
Fou à tuer (1986) de David Schmoeller avec Klaus Kinski (Editions Sidonis Calysta) Sortie en BR/DVD le 12 février
Comme le rappelle Olivier Père en supplément du film, Fou à tuer intéresse moins comme film de David Schmoeller, auteur d’un Tourist Trap bénéficiant d’une bonne réputation et du premier titre d’une sympathique petite saga horrifique (Puppet Master), que comme exemple inspiré de ce que put produire la maison Empire. En effet, cette société de production fondée par Charles Band marche alors sur les traces d’un Roger Corman en montant, par exemple, des projets uniquement sur des visuels et en produisant avec de petits budgets une floppée de films fantastico-horrifiques. En 1986, Empire surfe sur le triomphe de Ré-animator de Stuart Gordon et a le vent en poupe (c’est l’année où le groupe produit le plus de films).
Fou à tuer devait, à l’origine, narrer les méfaits d’un vétéran du Vietnam devenu tueur en série en reproduisant à l’échelle de son immeuble le conflit vietnamien. Estimant qu’il était encore un peu trop tôt pour raviver la blessure de cette guerre, surtout sous cette forme, le scénario fut retouché et le docteur Gunther sera le fils d’un ancien tortionnaire nazi. Néanmoins, l’une des principales qualités du film est d’avoir conservé cette idée d’un théâtre des opérations (avec galeries camouflées et pièges multiples) en lieu clos. Gunther est propriétaire de tous les appartements d’un petit immeuble et les conduits d’aération deviennent de véritables corridors où notre tueur peut évoluer, observer toutes ses locataires (il ne loue qu’à de jeunes et jolies femmes) et les effrayer (notamment avec des rats).
Schmoeller joue de façon habile avec ce décor claustrophobique et s’en tient quasiment strictement à un huis-clos (si on excepte l’amant d’une habitante qui l’observe depuis le jardin et pénètre toujours chez elle par la fenêtre).
La réalisation instaure un suspense basé sur le voyeurisme, obligeant le spectateur à épouser le point de vue du tueur et ses pulsions scopiques. Chaque victime est doublement piégée : d’abord par un regard (qui est aussi le nôtre, dans une optique à la Hitchcock/De Palma – toutes proportions gardées-) puis par les véritables pièges que Gunther dissimule un peu partout, à l’image de cette lance cachée dans un fauteuil qui finit par empaler le fils d’une victime du père de Gunther.
Outre ses qualités « topographiques », Fou à tuer vaut surtout pour la performance de Kinski. Totalement habité par son rôle de tueur givré, l’acteur est d’autant plus inquiétant qu’il n’en fait pas forcément trop, adoptant même le plus souvent la posture du vieux séducteur onctueux auprès de ses locataires. Lorsqu’on le voit coiffé d’une casquette de la Wehrmacht et en train de regarder de vieilles bandes d’actualité nazies, on sent dans son regard l’esprit qui chavire et le goût du crime qui coule dans ses veines.
Gunther se veut un « surhomme » (on aperçoit le visage de Nietzsche dans un cadre chez lui), capable de défier la mort (ses régulières parties de roulette russe) et convaincu qu’il peut disposer de la vie d’autrui comme bon lui semble. D’ailleurs, une de ses victimes n’est pas morte, mais il lui a coupé la langue et la tient prisonnière dans une petite cage.
Réalisé avec une certaine efficacité et une relative sobriété (Schmoeller n’a pas recours aux exactions sanglantes et laisse souvent les meurtres hors-champ), Fou à tuer souffre parfois de quelques scories typiques des années 80, comme par exemple ce moment où une jeune femme se pavane en lingerie rouge, coupe avec des ciseaux les extrémités de son soutien-gorge comme si elle se livrait elle-même en pâture au tueur (qui la reluque depuis les conduits), Mais à part ces quelques touches de mauvais goût (voir aussi les choucroutes des actrices), Fou à tuer se révèle être un thriller horrifique de bonne tenue, série B confectionnée avec talent et capable de transformer des contraintes (un budget limité) en véritable atout (efficacité narrative, exploitation habile des lieux…).