En même temps (2022) de Benoît Delépine et Gustave Kervern avec Vincent Macaigne, Jonathan Cohen, India Hair, Anna Mouglalis, Yolande Moreau, Ovidie

© Ad Vitam

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Film après film, Delépine et Kervern tracent leur sillon au cœur du cinéma français, entre agit-prop anarchisante et comédies loufoques. Au-delà du caractère inégal de chaque jalon, c’est l’œuvre dans sa totalité qui passionne et qui témoigne à la fois d’un style singulier et d’un ton assez unique.

En même temps, c’est le tableau réjouissant des horreurs du macronisme et un éloge rigolboche du militantisme burlesque. Le « terrorisme » punk du duo s’inscrit dans la lignée du surréalisme belge, des « yippies » américains, de l’internationale pâtissière de Noël Godin et des savoureux sabotages de Robert Dehoux (qui apparaissait – parfois seulement « vocalement »- dans les trois premiers films de Kervern/Delépine et à qui il est rendu hommage au générique) qui invitait tout le monde à boucher les serrures des banques avec de la colle forte afin de bloquer le système et la finance.

Les films de Kervern/Delépine reposent souvent sur une simple idée (récupérer des papiers pour la retraite dans Mammuth, monter une start-up dans I Feel Good…) développée sous forme d’une succession de saynètes drolatiques et corrosives. En même temps part de l’idée des « collages » féministes poussée à l’extrême : plutôt que de se contenter de slogans inscrits comme des maximes de catéchisme sur les murs, pourquoi ne pas s’attaquer directement aux porcs et les « coller » entre eux ?

C’est ainsi que Didier Bequet (Jonathan Cohen), député maire de « l’extrême centre » (à savoir que sous un vernis de libéralisme se cache un queutard raciste et homophobe décomplexé, soit le parfait politicard « en marche » entre Darmanin et Benalla) se retrouve « collé » à son adversaire politique écolo (Pascal Molitor joué par Vincent Macaigne) après une soirée arrosée dans un bar à p… hôtesses.

L’action a été menée par Sandra (India Hair), une militante féministe qui s’est fait engager au "FMI" (comprendre, ledit bar !) pour mener à bien ses actions anti-patriarcale.

Débute alors une version burlesque de The Human Centipede puisque nos deux politiciens doivent désormais trouver un moyen de se « décoller » en toute discrétion. Pour Delépine et Kervern, c’est l’occasion de renouer avec ce qu’ils savent le mieux faire : la saynète incisive. Entre la virée chez un vétérinaire, une sophrologue ou un tenancier de bar américain qui leur fait faire du rodéo, les réalisateurs accumulent les gags dont certains sont vraiment irrésistibles. L’humour est volontiers salace, notamment lorsqu’il s’agit de trouver un endroit pour soulager sa vessie. Les deux compères opteront pour une piscine privée et c’est à cet instant que Bequet regrettera d’avoir fait poser des centaines de caméras de surveillance dans toute la ville !

Parallèlement, le spectateur suit le groupe des trois pétroleuses à l’origine de ce mauvais coup. Si la sympathie des cinéastes va immédiatement vers ces militantes, ils ne se privent pas de railler leur sectarisme idéologique, leur logorrhée stéréotypée (ce moment hilarant où l’une d’elles s’exprime avec les codes de l’écriture dite « inclusive » alors qu’elle n’est que discriminante : chaque sexe étant bien rangé militairement derrière le point médian pour surtout ne pas se mélanger !) et leurs contradictions qui amènent l’émiettement en mille tendances adverses (Cf. le débat sur le sens de leur action et son interprétation possible).

Même si parfois le film perd un peu de sa verve au profit du discours (à ce titre, la fin est un peu lénifiante), il séduit par l’irrévérence de son humour, par un certain soin accordé à la mise en scène (même si c’est de manière moins visible, les deux cinéastes restent attachés à certains gags purement visuels) et par la qualité de son interprétation. Jonathan Cohen est parfait en prédateur macroniste, noyant ses turpitudes dans les « éléments de langage » (est-ce que vous aussi, cette expression vous hérisse le poil ?). Entre l’arrogante suffisance d’un Gilbert Melki et la fatuité satisfaite d’un Poelvoorde, il est souvent très drôle. Face à lui, Vincent Macaigne imprègne son personnage de maire écolo d’une mollesse onctueuse assez savoureuse, surtout lorsqu’il est dans le registre de l’autoflagellation et de la culpabilisation à outrance.

Là encore, si les cinéastes pointent du doigt les enjeux environnementaux en filmant la lutte contre la construction d’un immonde parc de loisirs « vert » ; ils parviennent à rire des travers ridicules de l’écologie de parti (« tout électrique », végétarisme, etc.).

Entre caricature, esprit frondeur et beaucoup d’autodérision, En même temps réserve des moments vraiment bidonnants. Et en cette période de sinistrose, ce n’est pas du luxe et même plutôt salutaire.

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