Démons (1985) de Lamberto Bava avec Natasha Hovey, Urbano Barberini

Démons 2 (1986) de Lamberto Bava avec Nancy Brilly, Asia Argento

(Éditions Carlotta Films). Sortie en DVD/BR le 5 avril 2022

© Carlotta films

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Que les fans de films d’horreur et des années 80 se réjouissent : les éditions Carlotta, dans la lignée de leurs précédentes exhumations de « films de minuit », nous proposent de redécouvrir le fameux diptyque de Lamberto Bava qui fit fantasmer l’adolescent que je fus lorsque je découvrais quelques images des films dans Mad Movies.

Sans être des chefs-d’œuvre (la nostalgie bienveillante ne peut quand même pas se substituer totalement à la raison), ces deux films sont sympathiques dans la mesure où ils représentent un peu les derniers feux de l’horreur transalpine. Nés sous l’égide de Dario Argento (à la fois producteur et scénariste), ils accumulent les références à des classiques du genre tout en lui offrant une sorte de fin carnavalesque et grand-guignolesque. Que le mal vienne de la télévision dans Démons 2 n’est sans doute pas un hasard puisque ce média allait dans les années suivantes participer à l’enterrement de ce cinéma bis.

Démons débute par une belle scène dans le métro berlinois. Une jeune fille se sent suivie et menacée par un étrange homme muet portant un masque inquiétant. Après une course-poursuite, l’individu se contente de lui distribuer un tract en forme d’invitation pour une avant-première dans un vieux cinéma de la ville.

Alors que son père Mario avait débuté (officiellement) à la mise en scène par le Masque du démon, c’est aussi un masque qui griffe un personnage et le transforme en démon enragé ici. Tandis que les spectateurs assistent à un film d’horreur sur l’écran, les événements montrés se déroulent de manière similaire dans la salle. Contaminés par la malédiction, les créatures se multiplient et se livrent à de sanglantes exactions.

Démons 2 reprend exactement le même schéma mais l’action se déroule dans un immeuble ultra-moderne. Pendant que les habitants vaquent chacun à leurs occupations (une fête pour Sally, de l’exercice pour les adeptes de la salle de sport…), la télévision diffuse un film d’horreur consacré à cette même malédiction. A l’instar des lèvres télévisées de Videodrome, un de ces démons s’échappe et provoque le début d’une longue réaction en chaine de contaminations démoniaques. 

Lamberto Bava applique dans ses deux films le principe du (quasi) huis-clos : un groupe de personnages cloitré dans un seul lieu (un cinéma, un immeuble) et menacé par des hordes de créatures avides de sang. A partir de là, il s’amuse à reprendre des motifs de ses grands ainés. Comme chez Mario Bava et Dario Argento, il joue beaucoup avec les éclairages (surtout dans le premier opus) bleus et rouges, donnant une coloration expressionniste à ses œuvres. Dans le premier Démons, il y a de belles scènes où le cinéaste brouille les repères entre l’œuvre projetée et la réalité, s’appuyant sur les motifs (rouges) du rideau du cinéma, le halo de lumière blanche et les lumières bleuâtres dans lesquelles baignent la salle. Les clins d’œil à Argento sont nombreux, ne serait-ce que par la présence de ses filles dans les deux films (Fiore dans le premier, Asia dans le second) ou de l’affiche de Quatre mouches de velours gris dans le hall du cinéma. Certains personnages viennent directement de chez le maître : l’aveugle de Démons rappelle celui de Suspiria ou du Chat à neuf queues, le chien contaminé qui attaque sa maîtresse dans Démons 2 renvoie aussi à Suspiria.

© Carlotta films

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Le diptyque doit également beaucoup aux films de morts-vivants de Lucio Fulci et lui est redevable de quelques scènes gore bien répugnantes (énucléations, tête embrochée sur des pointes rouillées…). On songe également aux zombis de Romero, notamment dans Démons 2 avec la bande de sportifs qui s’organise, sous la houlette d’un homme noir, pour tenir le siège contre les créatures.

Ces références, couplées à de beaux moments de mise en scène (dans les deux cas, les séquences d’exposition sont vraiment bien fichues) et passages marquants (les démons en ombres chinoises qui surgissent au loin, dans une lumière bleutée, et dont on ne voit que les yeux phosphorescents) permettent au spectateur de passer dans les deux cas un agréable moment.

Après, même si je n’aime généralement pas faire ce genre de distinction, il faut savoir que ces deux films s’adressent exclusivement aux amateurs du genre. Une fois que les démons sont lancés, Bava joue à fond la carte du Grand-Guignol et c’est parfois n’importe quoi (l’hélicoptère qui tombe au milieu du cinéma dans Démons). Ce n’est jamais très fin, notamment dans les dialogues (« c’est bizarre, elle est en train de vivre exactement ce qui se passe sur l’écran » : non ! sans blagues ? ) et les situations (les personnages qui restent figés sur place alors que leurs comparses sont en train de se transformer en créatures hideuses sous leurs yeux). Mais si on passe outre ces conventions, Bava nous offre des spectacles carnavalesques et rutilants assez réjouissants.

La bonne idée de ces films tient également dans cette astuce scénaristique qui consiste à faire des victimes des spectateurs, c’est-à-dire nous. Qu’ils soient assis dans une salle de cinéma ou devant leur petit écran, les personnages sont dans la même position que nous, ce qui renforce le processus d’identification. Démons peut se voir comme un dernier hommage à la salle obscure (le cinéma où a lieu le film est ancien et personne ne le connaissait) et aux frissons qu’elle a pu procurer. Démons 2 marque une évolution et l’horreur s’est déplacée de la salle à l’écran domestique. Le film s’avère un peu moins gore mais presque plus « mal élevé » puisque les démons s’en prennent aux chiens, aux enfants (dont Asia Argento qui disparaît en cours de route, d’ailleurs) et aux femmes enceintes. Il est aussi marqué par son époque avec le triomphe de l’individualisme (chacun dans son appartement) et une certaine vulgarité tapageuse typique des années 80 (avec la salle de sport, ses musclés sudoripares bas du front et ses greluches en tenue d’aérobic).

D’une certaine manière, la télévision devient le vecteur du virus : une dernière tranche d’horreur à l’ancienne avant le baisser de rideau sur le générique de fin.

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