Piégée
La mort caresse à minuit (1972) de Luciano Ercoli avec Susan Scott, Simon Andreu (Artus Films) Sortie le 5 avril 2022
Un journaliste photographe propose à Valentina, une célèbre top model, une expérience inédite : lui faire tester une nouvelle drogue, le HDS, sous surveillance médicale et la photographier pendant qu’elle en subit les effets. La jeune femme se met à planer mais est soudainement assaillie par une vision torturante : le meurtre d’une inconnue par un homme à lunettes noires et muni d’une sorte de gant doté de pointes en fer. Peu de temps après, elle revoit cet homme inquiétant et se sent de plus en plus menacée.
Valentina, c’est Nieves Navarro alias Susan Scott, starlette du cinéma populaire italien qui tata de tous les genres de l’autre côté des Alpes, du western (Colorado de Sollima, les deux Ringo de Tessari) jusqu’aux cochoncetés de Joe d’Amato (Emanuelle et les derniers cannibales, Orgasmo nero) en passant par le thriller musclé (La Jeunesse du massacre de Di Leo), le giallo (Toutes les couleurs du vice de Martino) ou la sexy comédie (L’Infirmière du régiment de Laurenti). Elle devient également l’épouse du cinéaste Luciano Ercoli avec qui elle tournera à de nombreuses reprises [1], notamment trois giallos formant une sorte de trilogie : Photo interdite d’une bourgeoise (1970), La mort marche à talons hauts (aka Nuit d’amour et d’épouvante) (1971) et La mort caresse à minuit (1972).
Dans les trois cas, le terme « giallo » est à prendre au sens large. En effet, si Ercoli n’hésite pas à recourir à certaines ficelles du filon, notamment la part prépondérante laissée à d’improbables machinations héritées du film matriciel Les Diaboliques de Clouzot, il évite les clichés du tueur en série ganté et des meurtres à l’arme blanche. Il reprend quelques motifs du genre pour les agencer de manière plus inédite. Autre trait assez surprenant en ce début des années 70 hautement érogène, notamment dans le genre : La mort caresse à minuit est dénué d’érotisme et l’atmosphère n’est pas franchement à la bagatelle.
En revanche, on retrouve ici (comme dans Photo interdite d’une bourgeoise) un penchant pour l’étude de mœurs et la satire d’une certaine vacuité bourgeoise. En tant que mannequin, Valentina n’est qu’une image, pure surface sans profondeur autour de laquelle s’agitent d’inquiétants personnages. Derrière le vernis des apparences et du luxe, on retrouve comme chez Chabrol une certaine noirceur et des comportements criminels.
Ercoli restitue à merveille, dans un premier temps, le vernis de cet univers feutré : jeu sur les formes géométriques, rigueur du cadre, importance des éléments du décors qui tendent à réifier Valentina. Elle n’est qu’un (joli) objet parmi les autres, une sorte de jouet au cœur d’une mystérieuse machination. A moins qu’elle ne soit réellement en train de sombrer dans la folie après avoir ingéré cette drogue expérimentale… Ercoli parvient, au départ, à faire naître cette ambiguïté. La première séquence de meurtre est, d’un point de vue de la mise en scène, assez époustouflante, construite à partir d’un point de vue altéré et jouant sur le choc.
Par la suite, le récit s’avérera un peu plus inégal, sans doute la faute d’un scénario trop flottant (défaut principal, il faut bien en convenir, de la plupart des giallos).
Pourtant, le film séduit par la manière dont son héroïne s’affranchit peu à peu de son rôle d’objet. Valentina est un personnage fort, qui ne se laisse pas faire et tient tête à tout le monde : son ami photographe qui l’a dupé, son amant falot, le commissaire qui enquête sur les meurtres que la jeune femme semble avoir vus ou encore l’automobiliste qui la prend en stop et lui propose de coucher avec elle sans vergogne. La belle lui enverra à la fois un coup dans les valseuses et une belle mandale dans la figure, pour le plus grand plaisir du spectateur.
Le côté opiniâtre de l’héroïne et sa manière constante de s’affranchir du rôle où l’on voudrait l’assigner fait la force du film et lui donne aussi cette touche d’humour assez caractéristique du cinéma d’Ercoli. Je dois aussi avouer que si l’aspect humoristique donne au film une couleur particulière, il désamorce parfois la tension du thriller et l’équilibre n’est pas constamment tenu.
Cette petite réserve n’empêche pas la réussite de La mort caresse à minuit et donne envie de découvrir l’œuvre méconnue (sauf des amateurs du genre) de Luciano Ercoli.
[1] De manière toute relative puisque le cinéaste n’a réalisé que huit films.