Un citoyen se rebelle (1974) d’Enzo G. Castellari avec Franco Nero, Barbara Bach (Éditions Artus Films)

© Artus Films

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Comme à peu près tous les filons exploités chez nos voisins transalpins, le poliziottesco (thriller urbain et violent, pour résumer schématiquement) est d’abord une tentative de réadaptation des grands succès du cinéma hollywoodien du moment, en l’occurrence Dirty Harry de Don Siegel puis Un justicier dans la ville de Michael Winner. Mais au-delà de l’opportunisme commercial de la manœuvre, l’intérêt de ce courant fécond est d’avoir su prendre le pouls de la société italienne du moment. En effet, le poliziottesco se développe au moment où l’Italie connaît de nombreuses tensions et vit les « années de plomb » : enlèvements, terrorisme, collisions louches entre services secrets et Brigades rouges, augmentation de la délinquance et déliquescence d’un État incapable d’assurer la sécurité de ses citoyens.

Un citoyen se rebelle commence par faire un état des lieux particulièrement pessimiste : agressions violentes, cambriolages, crimes en pleine rue, impunité des voyous… Carlo (Franco Nero) se fait violemment tabasser parce qu’il a tenté de récupérer son argent pendant le cambriolage d’une banque dont il est le témoin. Révolté par le peu d’entrain dont la police fait preuve pour retrouver les coupables, il décide de mener lui-même l’enquête et de punir les bandits.

Avec une trame pareille, on songe immanquablement à Un justicier dans la ville et au genre vigilante qui n’a cessé de mettre en scène la justice individuelle lorsque celle de l’Etat vient à défaillir et ne protège plus le citoyen lambda. Mais le film de Castellari prend une autre voie que celle tracée par Michael Winner. Tout d’abord, le héros du film incarné par un Franco Nero impeccable, n’a rien du surhomme que finit par devenir Paul Kersey. Même dans le premier épisode de la saga, le plus intéressant et le plus ambigu (sa vengeance est « aveugle »), Charles Bronson parvient à devenir une machine de guerre implacable. Ici, Carlo reste constamment « humain » et doit se heurter à des problèmes concrets : comment retrouver ses bourreaux ? Comment faire pour les faire tomber ? Ses premières investigations s’avèrent être un échec complet et les petits voyous vont même jusqu’à lui détruire sa voiture. Puis lorsqu’il parvient enfin à remonter la piste jusqu’aux bandits, il appelle la police et ne cherche pas à se faire justice lui-même. Il faudra une nouvelle déception pour qu’il décide d’agir lui-même…  

Toutes les étapes du film sont passionnantes car elles permettent de montrer l’évolution du personnage et de nuancer ce qui pourrait être équivoque. Dès le départ, la petite amie de Carlo (incarnée par la belle Barbara Bach) lui reproche de se comporter comme un cow-boy au Far-West. La question de la légitimité de son action d’autodéfense est posée. Par la suite, sa rencontre avec Tommy permet à Castellari de poser un regard plus fin sur les voyous. D’abord mis dans le même sac dans la scène d’ouverture assez extraordinaire du film (montage percutant, sécheresse d’une mise en scène qui nous plonge directement dans l’action…), nous réaliserons que ces délinquants ne sont pas tous de la même nature. Tommy est d’abord un paumé sans le sou qui ne peut subsister qu’en se livrant à des actes délictueux. D’abord très antipathique, il acquiert par la suite une profondeur assez rare dans ce genre de film. Il finit par nouer des liens amicaux avec Carlo et permet au cinéaste de sonder avec finesse la complexité des êtres humains. A l’opposé, il montre également des forces de police très ambiguë, à la fois dépassées par l’ampleur de la tâche mais tenant aussi un rôle pas très clair lorsque les bandits semblent avoir été prévenus d’une de leurs interventions. Carlo soupçonne des connivences entre les flics et les bandits par intérêt : contre une certaine impunité, des figures de la pègre peuvent jouer les indics. Castellari ne se livre pas un pamphlet anti-police mais il pointe avec une certaine force son impuissance et ses ambiguïtés.

Que Carlo éprouve de nombreuses difficultés dans sa quête (comment remonter les filières ? Comment se procurer des armes ?) donne à Un citoyen se rebelle un côté « réaliste » qu’accentue une mise en scène à la fois brutale et fortement ancrée dans un univers urbain. Castellari sait mettre en valeur des endroits glauques (containers du port, entrepôt immense, tripot clandestin…) et accentuer ce sentiment que la société italienne dysfonctionne. Il ne s’agit évidemment pas d’un réalisme documentaire mais d’une approche de la réalité qui pourrait être comparée à celle du western. En effet, il y est question de la Loi et de la volonté des citoyens de s’y soumettre ou pas. Lorsque la Loi ne garantit plus la sécurité de l’individu, c’est le retour à une sorte de loi du Far-West où le plus fort l’emporte. Le finale, à ce titre, a tout d’une réadaptation urbaine du western : une sorte de siège de fort Alamo où Tommy et Carlo doivent affronter les gangsters.

En abordant par le biais du genre les questions de la Loi, de la justice (individuelle ou d’Etat) et de la corruption généralisée, Castellari signe une œuvre dense qui a le mérite de ne jamais être manichéenne ou simpliste. Et il signe avec Un citoyen se rebelle l’un des meilleurs films du filon.  

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