Cabiria (1914) de Giovanni Pastrone avec Lidia Quaranta, Bartolomeo Pagano, Umberto Mozzato

Visage du cinéma italien : 16- Le muet

Si le cinéma italien fut l’un des plus beaux et riches du monde à partir de la Seconde Guerre mondiale, il est beaucoup moins renommé pour les périodes précédentes. C’est particulièrement flagrant pour la période muette où il ne fait pas le poids face à ses voisins allemands et français ou au cinéma américain. Néanmoins, puisque chaque règle a son exception, il y a Cabiria.

Le film de Giovanni Pastrone fut, en effet, l’une des plus célèbres superproductions mises en chantier chez nos amis transalpins. Une œuvre de plus de quatre heures qui n’existe aujourd’hui que dans des versions raccourcies (j’ai vu celle qui dure un peu plus de deux heures). On sait à quel point Cabiria a pu influencer un cinéaste comme Griffith qui se souviendra de la leçon en tournant Intolérance (notamment l’épisode babylonien) : gigantisme des décors (le temple érigé au dieu Moloch), séquences épiques (attaque de Carthage, flotte romaine décimée par les flammes grâce à l’habile stratagème inventé par Archimède…), nombreuses scènes de foule… Par ailleurs, même si l’on sent que la grammaire du cinéma reste balbutiante (on ne trouvera dans le film aucun gros plan, à l’exception d’un insert sur une main), Pastrone commence à se libérer du « plan-tableau » primitif, notamment par l’usage régulier du travelling. Les mouvements de caméra ne sont pas très spectaculaires mais ils permettent de dynamiser les plans en effectuant de légers déplacements latéraux voire transversaux et de recadrer les personnages dans le décor.  

Le film est également resté car il a été écrit par le célèbre écrivain Gabriele D’Annunzio et, avouons-le, son emphase que l’on retrouve dans les intertitres a pris un petit coup de vieux. S’appuyant sur le contexte des guerres Puniques, l’écrivain a brodé une histoire rocambolesque en diable où une petite fille, Cabiria, échappe de peu à la lave de l’Etna, est enlevée par des pirates Phéniciens, vendue à un grand prêtre de Carthage avant d’être sauvée in-extremis des flammes qui devaient l’accueillir lors d’un sacrifice au dieu Moloch. Les deux hommes qui la sauvent sont un patricien romain, Fulvius Axilla et son esclave Maciste. On sait que ce personnage, qui apparaissait ici pour la première fois à l'écran, connut une impressionnante postérité. En ce sens, Cabiria apparaît comme l’aboutissement (du point de vue des moyens mis en œuvre et du gigantisme de l’entreprise) d’un genre où les italiens excelleront : le péplum. Pastrone avait déjà signé en 1911 La Chute de Troie et il s’inscrit ainsi dans un courant où s’illustrèrent également Luigi Maggi (Les Derniers Jours de Pompéi – 1908-, Néron -1909-) et Enrico Guazzoni (Quo Vadis ? -1913-, Marc-Antoine et Cléopâtre – 1913-). Il inaugure aussi le règne des films à grand spectacle conjuguant aventures et mélodrame dont seront friands Griffith ou encore Cecil B. DeMille. A ce titre, certaines scènes restent assez stupéfiantes lorsqu’on les découvre plus d’un siècle après leur réalisation : un saut dans la mer depuis une falaise qui permet à Fulvius d’échapper à ses poursuivants, la création d’une sorte d’« escalier » humain à l’aide de boucliers qui permettent à un soldat d’escalader les murailles de Carthage…

Si l’on admire la composition des plans, une certaine richesse dans la construction narrative (les balbutiements du montage alterné qui permet de suivre plusieurs actions à la fois…) force est de constater que le film n’est pas constamment passionnant et qu’en dépit de son « importance » historique, il peine à maintenir une attention de tous les instants. Certains passages sont un peu confus et on peine surtout à s’attacher aux personnages, à l’exception de Maciste qui apparait parfois comme le véritable héros du film.

Reste alors un « monument » que l’on découvre sans véritable passion mais avec une grande curiosité.

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