Bestialita (1976) de Peter Skerl avec Leonora Fani, Juliette Mayniel, Philippe March, Ilona Staller

Visages du cinéma italien : 17- le cinéma déviant

Non seulement l’Italie fut l’un des seuls pays à développer, à l’instar du cinéma hollywoodien classique, un véritable cinéma « de genre » (encore qu’il faudrait bien définir ce terme utilisé à tort et à travers aujourd’hui), mais ce fut sans doute de l’autre côté des Alpes qu’ils (les genres) furent poussés dans leurs extrémités les plus déviantes[i]. Nous ne nous risquerons pas à des interprétations sociologiques (le poids de la tradition catholique mêlé à un désir de transgression, accentué par la libéralisation des mœurs et une certaine contestation politique) mais on peut se demander si ce goût de la déviance ne nait pas avec le « mondo film », ces documentaires bidonnés et affreusement racoleurs qui, sous couvert de réalisme et d’exotisme, dévoilaient les images les plus crues de sexe et de violence. Ce cocktail, on le retrouvera par la suite dans les gialli les plus crapoteux (Giallo a Venizia de Mario Landi), dans les films de cannibales nauséeux de Deodato et Lenzi, dans les hallucinants pornos-gore de Joe d’Amato ou les films d’horreur tordus d’Andrea Bianchi, Renato Polselli ou Luigi Batzella. Au cours des années 70, ce désir de voir à tout prix s’accompagne d’un désir de transgresser les ultimes tabous. Ce sont les riches heures de la « nazisploitation » (érotisme et tortures dans le cadre des camps nazis) mais également celles de la « teensploitation » (la sexualisation d’adolescents parfois très jeunes, à l’instar du très perturbant Maladolescenza de Pier Giuseppe Murgia). Et comme nous n’en sommes plus à un tabou près, certains cinéastes vont aborder la question de la zoophilie[ii].

Si l’on en croit David Didelot qui en parle dans ses récents fanzines (Bis Bazar, Erotic Bazar), cette perversion s’est parfois invitée dans le cinéma « hard » italien (notamment certains films avec Marina Frajese) mais on la retrouve également chez l’incontournable Joe d’Amato lors des ahurissantes séquences chevalines de son Caligula, la véritable histoire et de Black Emanuelle en Amérique sans parler de la dérangeante scène avec un toutou dans Black Emanuelle autour du monde.

Bestialita du mystérieux Peter Skerl[iii] aborde également la question mais de manière beaucoup plus soft (ouf !). Dans l’excellent article qu’il consacre au film, Eric Draven explique qu’il est d’abord né d’une affiche réalisée dans la foulée de celle de La Bête de Borowczyk. On se souvient que dans ce très beau film cherchant également à briser tous les tabous, les amours de la Belle et la Bête relevaient du fantasme et de l’imaginaire (la créature monstrueuse avec qui s’accouplait l’héroïne n’avait rien de réaliste). En revanche, dans le même film, on voyait un homme simple d’esprit prendre un certain plaisir à reluquer la saillie d’une jument par un bel étalon. L’affiche réalisée, c’est le scénariste Luigi Montefiori qui se charge d’imaginer un récit correspondant à l’image d’une femme enlaçant un labrador. Les spécialistes du « bis » connaissent évidemment Montefiori sous son pseudonyme George Eastman[iv], acteur et scénariste pour Joe d’Amato (tiens ! tiens !). C’est à lui qu’on doit, entre autres, le récit d’Horrible

Si le film débute par une scène choc plutôt marquante (l’accouplement d’une femme avec un chien), il sera ensuite beaucoup moins choquant et, il faut bien en convenir, un poil (si j’ose dire !) languissant.

Surprenant son épouse entre les pattes du toutou, le mari l’embarque avec sa fille et met le feu à sa demeure. La petite, qui a assisté à la scène, retourne plus tard sur l’île avec son chien et vit désormais du côté des falaises. C’est là que l’aperçoive un couple de français, Paul et Yvette, venu ici pour des raisons professionnelles.

Paul et Yvette, ce sont deux comédiens français ayant une jolie petite carrière et que le spectateur est étonné de retrouver ici. Philippe March a tourné pour Claude Sautet (Classe tout risques), Melville (Le Doulos) ou encore Gérard Blain (Les Amis). Quant à Juliette Mayniel, elle fut révélée par Les Cousins de Claude Chabrol et tourna dans les premiers films du cinéaste (Les Godelureaux, Ophélia, Landru) mais aussi avec Mocky (Un couple) avant d’entamer une carrière en Italie à partir du milieu des années 60 (on la retrouve dans Terreur sur la lagune de Bido). « Splendide quadragénaire », elle n’hésite pas ici à dévoiler tous ses charmes en incarnant une femme frustrée dont les désirs se réveillent lorsqu’elle rencontre, avec son mari, la jeune Jeanine. Celle-ci est jouée par la délicieuse Leonora Fani, habituée aux rôles sulfureux puisqu’elle fut la grande cousine qui initie un petit garçon dans Nenè et qu’elle fera partie du casting du crapoteux Giallo a Venizia. On la retrouvera également dans le beau Pensione Paura de Barilli et dans La Diablesse de Castellari.

Dans un premier temps (environ deux tiers du film), Peter Skerl joue la carte du film érotique plutôt timide. En filmant les cercles que fréquentent Paul et Yvette, le cinéaste se livre à une satire d’une certaine bourgeoisie oisive et désœuvrée pour en montrer une forme de monstruosité. L’animal qui joue le rôle de déclencheur du récit devient alors la métaphore[v] d’une nature humaine qui ne demande qu’à ressurgir derrière le vernis des conventions sociales. Skerl filme d’ailleurs des réceptions en gros plans et au grand angle pour accentuer l’horreur de ces bourgeois en train de se gaver tandis qu’une jolie fille à la tête pleine d’eau danse totalement nue au milieu du séjour. Les plus observateurs auront d’ailleurs repéré que cette jolie blonde est Ilona Staller qui ne tarderait pas à se faire connaître sous le nom de Cicciolina.  

Lorsque Jeanine est « adoptée » par le couple, le film prend une autre teinte, plus dramatique et l’érotisme se fait plus franc (sans pour autant dépasser les limites de la bienséance). Le nœud psychologique sur lequel s’appuie le récit (ni très original, ni très difficile à deviner) se dénoue et donne lieu à une nouvelle « scène choc » similaire à la scène d’ouverture.

Au bout du compte, Bestialita est un film bâtard, tenté par les excès d’un cinéma d’exploitation italien totalement impensable de nos jours mais qui, globalement, reste dénué de moments choquants. On navigue un peu mollement entre la satire de la bourgeoisie et le drame psychologique (la frustration d’Yvette, le mystère de Jeanine), le tout pimenté par un érotisme relativement frileux. Difficile donc de trouver le résultat réussi mais Skerl parvient néanmoins à camper une atmosphère, mi moite, mi mystérieuse, qui se révèle malgré tout assez plaisante.

 

[i] Les italiens ne furent néanmoins pas les seuls : que l’on songe à certains pans du cinéma « extrême » japonais (Yamanouchi, Sato).

[ii] Le cinéma espagnol de la même époque abordera également ce thème mais de manière beaucoup plus « soft », que l’on songe à La Criatura (Eloy de la Iglesia, 1977) ou Caniche (Bigas Luna, 1979)

[iii] Comme Murgia (et dans une moindre mesure Massimo Pirri, auteur de L’Immoralita), Skerl sort un peu de nulle part, réalise une œuvre choc puis un deuxième long-métrage même pas recensé par IMDB avant de disparaître des radars.

[iv] Selon certaines sources, Eastman aurait participé à la réalisation de Bestialita.

[v] On retrouve cette figure de chien comme symbole de la part animale nichée au cœur de l’homme dans Maladolescenza, film sur une humanité pré-adolescente revenue à l’état de nature.

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