Les coeurs des hommes
Le Neuvième Cœur (1979) de Juraj Herz avec Julie Juristova, Anna Malova, Ondrej Havelka (Éditions Artus Films)
Après la répression du Printemps de Prague en 1968, les cinéastes tchécoslovaques vont être confrontés à un dilemme. Soit choisir l'exil pour continuer à s'exprimer librement (ce que firent Milos Forman et Ivan Passer), soit rester au risque d'avoir de sérieux démêlés avec la censure (Alouettes, le fil à la patte de Jiri Menzel qui sera interdit jusqu'en 1990 et qui éloignera un certain temps le cinéaste du grand écran, par exemple).
Alors que la nouvelle vague tchécoslovaque se caractérisait par un certain réalisme et une vision satirique du pouvoir en place, les films tournés après 1968 vont souvent adopter une forme plus métaphorique et ne pas hésiter à se réfugier dans le merveilleux, que l'on songe, à titre d'exemple, au génialissime Valérie au pays des merveilles de Jaromil Jires.
C'est aussi cette voie que va emprunter Juraj Herz dont on se rappelle forcément le superbe conte macabre L'Incinérateur de cadavres. A la beauté expressionniste de ce film succède ici le goût du conte et du merveilleux. Ayant du mal à faire accepter certains de ses scénarios, il opte pour deux adaptations littéraires. Tout d'abord, La Belle et la bête d'après le conte de Jeanne-Marie Leprince de Beaumont en 1978 et ce Neuvième Cœur d'après les contes nocturnes d’ETA. Hoffmann.
Un jeune étudiant désargenté décide de se porter volontaire, après huit autres hommes disparus depuis, pour venir en aide à la princesse Adriana qui souffre d'un mal étrange (une sorte de mélancolie persistante le jour) et qui disparaît les nuits. Il se trouve qu'elle est sous l'emprise de l'astrologue Aldobrandini, sorte d'alchimiste démoniaque qui fomente de vilains plans...
Le film débute sous la forme d'une comédie loufoque puisque Herz nous plonge dans un univers forain où comédiens, marionnettistes et clowns racontent à leur manière l'histoire de la princesse, au grand dam des autorités qui voient d'un mauvais œil cette manière de se moquer du pouvoir royal. De la même manière, le jeune étudiant qui tombe amoureux d'une marionnettiste, nargue constamment les autorités. Avec l'aide du grand Jan Svankmajer (qui occupe ici la place de directeur artistique), le cinéaste joue la carte d'une certaine fantaisie, notamment lorsque Martin (l'étudiant) s'évade d'une prison grâce à une cape d'invisibilité et qu'il s'amuse à titiller ses gardes (il joue avec un monocle, plante une épée dans le pied d'un gradé). La comédie est parfois un peu naïve (les gags ne sont pas toujours très finement amenés) mais on peut y voir en filigrane une manière de critiquer le régime sans l'affronter directement (toutes les figures de l'autorité sont ridiculisées).
Par la suite, le film entre de plain-pied dans le merveilleux et le conte inquiétant avec l'affreux alchimiste qui vole les cœurs des hommes pour composer une sorte d’élixir de jouvence. Herz parvient à composer quelques plans assez envoûtants comme cette longue scène de bal où le temps semble suspendu ou encore cette incroyable pièce emplie de bougies, véritable antre d'Albobrandini qui lui permet de jouer avec le temps (un gigantesque système d'horlogerie). Par ses petites pointes comiques et son goût pour les éclairages colorés, Herz se rapproche parfois du Polanski du Bal des vampires.
Tout n'est pas parfait dans ce film qui accuse, çà et là, quelques petites rides et un rythme parfois un tantinet bancal. Mais ce Neuvième Cœur n'en demeure pas moins une jolie curiosité qui prouve, une fois de plus, la vitalité et la singularité qui caractérisèrent le cinéma tchécoslovaque...