Visages du cinéma italien : 20- Sergio Martino
La Montagne du dieu cannibale (1978) de Sergio Martino avec Ursula Andress, Stacy Keach
Dans l’imaginaire des cinéphiles, les trois Sergio du cinéma italien restent à jamais Leone, Corbucci et Sollima, sans doute parce qu’ils ont chacun signé quelques fleurons du western transalpin. Moins renommé et sans doute plus inégal, Sergio Martino aurait mérité de les rejoindre, ne serait-ce que pour sa splendide trilogie « vicieuse » : L’Étrange Vice de Mme Wardh, Toutes les couleurs du vice et Ton vice est une chambre close dont moi seul ai la clé. A ces trois « gialli », il faut ajouter l’excellent Torso et La Queue du scorpion qui firent de Martino l’un des maîtres du filon. La suite est moins reluisante mais témoigne à sa manière de l’éclectisme des artisans du cinéma populaire italien qui n’hésitaient pas à tâter de tous les genres : le polar musclé (Rue de la violence) ou plus parodique (Mort suspecte d’une mineure), la comédie érotique avec la muse Edwige Fenech (Mademoiselle cuisses longues, le film à sketches Sexycon, Les Zizis baladeurs – quel titre français !), du cinéma post-apocalyptique après le succès de Mad Max (2019 après la chute de New York) et du cinéma d’horreur avec de grosses bestioles dans la lignée des Dents de la mer (Le Grand Alligator) sans oublier la SF, le western et même un téléfilm de 1987 avec la toute jeune Nicole Kidman en vedette (Une australienne à Rome).
Je n’avais donc que l’embarras du choix pour vous présenter rapidement ce réalisateur. J’ai volontairement fait l’impasse sur la « comédie sexy » car nous y reviendrons très prochainement (encore un vaste continent à défricher !) et je me suis plongé dans cette Montagne du dieu cannibale. Comme son nom l’indique, le film s’inscrit dans la catégorie des « films de cannibales » qui auront leur petite heure de gloire, notamment grâce au célébrissime Cannibal Holocaust de Ruggero Deodato. Martino n’est pas le premier à se livrer à l’exercice puisqu’il a été précédé par Umberto Lenzi (même si son Au pays de l’exorcisme ne relève que lointainement du genre), Ruggero Deodato (Le Dernier Monde cannibale) ou encore Joe d’Amato (Emanuelle et les derniers cannibales).
La Montagne du dieu cannibale annonce à sa manière tous les excès à venir des artisans bouchers transalpins (Cannibal Holocaust, Cannibal Ferox) mais en version édulcorée. On y trouve déjà tous les ingrédients du genre, y compris les plus controversés (les mises à mort réelles d’animaux) : caution vériste (le film est présenté comme une « histoire vraie »), aventures exotiques où il faut à la fois éviter les bestioles les plus dangereuses (mygales, cobras, crocodiles…) et les pièges tendus par l'intraitable nature (les incontournables rapides qui menacent constamment de vous retourner votre embarcation) et la rencontre au bout du chemin avec des anthropophages peu amènes.
Comme l’ont déjà souligné Maxime Lachaud et Sébastien Gayraud, les films de cannibales découlent tout naturellement du « mondo movie » dont ils prolongent les principaux motifs : sensationnalisme, exotisme et une volonté de « dévoiler la vérité » même si la réalité est parfois (souvent) reconstituée de toute pièce. Sergio Martino a d’ailleurs commencé sa carrière de cinéaste en réalisant des « mondos » : Tous les vices du monde en 1969 ou encore L’Amérique à nu en 1970. Il joue ici cette carte « documentaire » en présentant son récit comme la découverte d’un monde sauvage et inconnu, où les aventures vécues par Susan (Ursula Andress) et son frère les confrontent à d’autres mœurs et d’autres coutumes étranges. C’est dans ce cadre que s’insère le tristement célèbre « snuff animalier ». Nul doute que dans la jungle, les animaux s’entre-dévorent. Mais au cinéma, on devine que ces meurtres (réels) ont été mis en scène exprès pour la caméra et c’est dans cette rupture du pacte avec le spectateur (qui sait, par ailleurs, que les horreurs qu’il voit à l'écran sont de la fiction) que se situe le malaise. La pire scène de La Montagne du dieu cannibale est sans doute celle où un boa étouffe et tue un malheureux petit singe. Mais on aura droit également à l’éventrement d’un varan et au dépeçage d’un serpent avec néanmoins un petit doute : des coupes discrètes laissent à penser que les mises à mort n’ont peut-être pas eu lieu « en direct ».
Pour le reste, le film déroule assez mollement son programme : aventures sans beaucoup de souffle (Susan est partie à la recherche de son mari, disparu lors de sa dernière expédition), exotisme de pacotille et quelques scènes gore pour secouer (réveiller ?) le spectateur : un membre arraché par un crocodile, une décapitation, une éventration et une émasculation assez éprouvante… Les effets-spéciaux sont assez sommaires et ces quelques exactions restent, malgré tout, à mille lieues des carnages sanglants que nous réserveront par la suite les Deodato, Lenzi et d’Amato.
Pourtant, une séquence attire l’attention dans La Montagne du dieu cannibale, un moment très « bis » comme seul le cinéma italien d’exploitation a pu nous en offrir. Prisonnière des cannibales, la belle Ursula Andress est contrainte d’ingérer un morceau de viande humaine et voit alors sa raison vaciller. Et Martino d’enchaîner sur une séquence folle à la d’Amato où notre héroïne assiste à un accouplement sauvage (soft) puis voit une belle indigène se caresser en toute impudeur, jambes ouvertes face à la caméra – on frise alors la pornographie alors que rien ne le laissait prévoir (le film étant jusqu’alors dénué de tout érotisme, même si – ô bonheur- nous eûmes le loisir d’apercevoir furtivement Ursula Andress dans le plus simple appareil) avant de finir par un homme en train de forniquer brutalement…avec un énorme cochon ! Instants purement déviants et assez hallucinants, surtout que rien ne nous y préparait avant.
C’est là le charme de ce cinéma d’exploitation transalpin : racoleur, parfois crapoteux mais avec une folie qui nous manque cruellement dans un univers désormais totalement aseptisé.