La toubib prend du galon (1978) de Nando Cicero avec Edwige Fenech, Alvaro Vitali

Visages du cinéma italien : 21- La comédie sexy

Si vous croisez un cinéphile, n’hésitez pas à faire ce test en lui demandant ce qu’évoque pour lui la comédie italienne. A cette simple suggestion, vous devriez voir son œil friser et un léger sourire se dessiner au coin de ses lèvres. Ah, la comédie italienne ! Risi, Scola, Monicelli, Comencini… Ce mélange de cruauté et de tendresse, de cynisme et d’empathie… Cette manière de croquer les dysfonctionnements d’une société par la biais du sarcasme et du rire grinçant… Mais nul doute non plus que vous ne récolterez que des haussements d’épaules et des moues dédaigneuses si vous osez vous aventurer dans les zones moins fréquentables de la comédie sexy qui triompha sur les écrans transalpins au cours des années 70 et au début des années 80.

C’est un livre tout entier qu’il faudrait consacrer aux différentes ramifications de ce large territoire, des comédies de mœurs plus « osées » de la fin des années 60 signées Samperi ou Festa Campanile jusqu’aux versions les plus dégradées de la comédie navrante (avec ses troufions ou autres étudiants dégénérés) qui prospérèrent aussi en France. Entre les deux, citons également Le Décaméron de Pasolini dont l’humour paillard et la forme brève (une succession de sketches) donna naissance à tout un courant de comédies érotiques « historiques ».

A partir de la fin des années 60, l’Italie vit comme toutes les démocraties occidentales une véritable libération des mœurs. L’érotisme offre un bon moyen de faire vaciller l’ordre moral patriarcal et catholique et d’insuffler un certain goût de la liberté à la jeunesse d’alors. Mais l’érotisme représente également une manne financière assurée et c’est avec une sympathique roublardise que producteurs et cinéastes s’engouffrèrent dans la brèche. Dans la mesure où tous les filons exploités par les italiens connaissent dans les années 70 une forme d’érotisation, que ce soit le giallo, le fantastique ou même le péplum ; il semble logique que la comédie ait suivi le même chemin. D’où la naissance d’un genre à part entière, la « comédie sexy », qui verra défiler sur l’Italie une flopée de sagas emmenées par des « toubibs », des « profs », des « infirmières », des « lycéennes » ou autres « flics » (au féminin). D’où le triomphe également d’un certain nombre d’étoiles à la beauté sculpturale et au charme mutin : Nadia Cassini, Carmen Russo, Lilli Carati, Gloria Guida ou encore l’incontournable Edwige Fenech, révélée d’abord comme grande prêtresse du giallo par Sergio Martino (voir ma note précédente).

Pour la troisième fois, après La Toubib du régiment et La Toubib aux grandes manœuvres, la belle Edwige reprend son rôle de médecin militaire qui fait tourner la tête d’imbéciles troufions sous la direction de Nando Cicero, sympathique tâcheron spécialisé dans les parodies bouffonnes (Le Dernier Tango à Zagarol, Le Roi du kung-fu) et qui fit tourner à ses débuts les redoutables duettistes Franco et Ciccio (Deux Corniauds au régiment).

Visages du cinéma italien : 21- La comédie sexy

Le principe de la comédie sexy repose sur des ficelles immuables dont la principale est de plonger un corps féminin particulièrement désirable dans un univers presque exclusivement masculin et de faire naître des gags de cette promiscuité incongrue. La scène la plus caractéristique de La toubib prend du galon est sans doute celle où une bonne partie du régiment s’agite grotesquement en observant, la lippe baveuse et les yeux exorbités, la belle Edwige en train de se déshabiller innocemment derrière un miroir sans tain. Parmi le groupe de soldats en rut, on repère un des grands habitués de ce genre de comédies : Alvaro Vitali, espèce d’homoncule hystérique affublé d’un strabisme qui représente en quelque sorte le quintessence d’une masculinité simiesque et grimaçante. A côté d’Alvaro Vitali, Paul Préboist est un modèle bressonnien ! Mais cette outrance dans la représentation de la bêtise d’hommes uniquement obsédés par leur membre viril préserve paradoxalement le film du soupçon de misogynie dont il pourrait aujourd’hui être entaché. Certes, l’héroïne est souvent filmée comme pur objet de désir (le fameux miroir sans tain qui fait de cette toubib une pure image) mais elle sait par ailleurs remettre à leur place tous ceux qui ne lui lâchent pas les basques.

La déception (somme toute relative car nous savions où nous mettions les pieds !) que procure le film tient d’ailleurs au fait qu’Edwige Fenech devient, à un moment donné, un personnage presque périphérique. L’essentiel du film se concentrant sur une succession de saynètes débiles autour du quotidien des bidasses, quelque part entre le M.A.S.H d’Altman (toutes proportions gardées) et les navets militaro-comiques de nos Michel Gérard, Max Pécas et Philippe Clair nationaux.

Et là, il faut prévenir les palais délicats de passer leur chemin car ça ne vole vraiment pas haut : gags scatologiques à base de pets ou d’opération chirurgicale contraignant Alvaro Vitali à se pisser à la figure, hystérie permanente, vulgarité absolue des répliques (à ce titre, le doublage français n’arrange pas les choses) et des situations qui entendent nous faire rire avec de vieilles prostituées obèses ou de laiderons affublés d’une ceinture de chasteté par un père trop prévenant…

On notera d’ailleurs (existe-t-elle en VO ?) une célèbre réplique (« Celle-là, je la baiserais mal mais je la baiserais bien ») déjà entendue dans C’est dur pour tout le monde de Christian Gion (j’ignore si elle vient vraiment de là) et qui sera reprise dans Vivement dimanche de Truffaut et Fallait pas ! de Jugnot.

On aura compris que le résultat est proche de la nullité absolue. Le dosage entre le rire et l’érotisme étant fluctuant dans le genre, précisons pour les petits polissons émoustillés par l’idée d’admirer Edwige (ce que nous comprenons parfaitement) que le film de Nando Cicero se révèle très chaste et que « l’humour » (avec 36.000 guillemets) l’emporte largement sur la bagatelle et la nudité (très rare) de notre héroïne adorée.

Nous aurons sans doute l’occasion, en croisant les noms d’artisans similaires (Tarantini, Laurenti…) de reparler du genre. Mais point trop n’en faut : après La toubib prend du galon, la seule envie qui nous tiraille est de revoir tout Dreyer ou tout Bergman pour se souvenir de ce que peut aussi être le cinéma…

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