Visages du cinéma italien : 25- La nunsploitation
L’Autre Enfer (1980) de Bruno Mattei et Claudio Fragasso avec Franca Stoppi, Carlo de Mejo
L’un des grands plaisirs procurés par le cinéma de genre italien, c’est de voir comment chaque filon a engendré ses propres surgeons et la manière dont ils se sont ramifiés avec le temps. Prenons l’exemple du « WIP film » (pour « Women in prison ») dont je vous ai déjà parlé : après le succès des Diables de Ken Russell, ses archétypes ont été transposés dans le cadre de couvents abritant toutes les turpitudes imaginables, donnant naissance à un courant qu’on a appelé la nunsploitation. Un des plus réussis et des plus fous reste sans doute Le Couvent de la bête sacrée de Norifumi Suzuki mais n’oublions pas que Verhoeven lorsqu’il tourne Benedetta s’inscrit à sa manière dans le cadre de ce sous-genre.
L’Autre Enfer fait partie de ces films que Bruno Mattei tournent avec son scénariste et complice Claudio Fragasso. Rappelons pour les plus étourdis de nos lecteurs que Bruno Mattei est considéré par la plupart des amateurs de fantastique comme l’un des plus redoutables tâcherons du bis italien, auteur de titres mythiques comme Les Rats de Manhattan ou Virus cannibale où l’absence de toute compétence cinématographique (les films sont bourrés de stock-shots) s’allie à la pauvreté d’effets horrifiques bas de gamme. Le cinéaste a néanmoins ses défenseurs, que l’on songe à l’ami David Didelot qui lui a consacré un excellent ouvrage chez Artus (Bruno Mattei : itinéraires bis) et avouons que ce genre d’artisans lunaires, témoins incomparables d’une époque à jamais révolue, a d’emblée toute notre sympathie.
En 1980, Mattei et son compère Fragasso consacre un diptyque à la nunsploitation en tournant avec la même équipe et au même moment deux longs métrages consécutifs : Les Novices libertines (tout un programme !) et cet Autre Enfer que Fragasso (c’est lui qui le dit en présentation du film) aurait quasiment tourné de A à Z. Difficile de dire ce qui revient à l’un et l’autre mais toujours est-il que le film est assez caractéristique des méthodes de sagouin du cinéaste : on pique des extraits d’autres films, on « emprunte » sans vergogne la musique des Goblin composée pour Blue Holocaust de Joe d’Amato…
Toujours est-il que L’Autre Enfer fait des entorses aux règles de la nunsploitation. La principale étant que l’œuvre est totalement dénuée d’un des principaux piments du filon : l’érotisme. Alors que les possessions diaboliques dans les couvents se traduisent généralement par des ébats lubriques ou des crises d’hystérie offrant aux nonnes le loisir de se dépoitrailler, elles ne provoquent ici aucune réaction libidineuse et le film s’avère aussi sexy qu’un petit-déjeuner avec Gérard Larcher.
Niveau horreur, c’est un peu plus gratiné et conforme au cahier des charges avec quelques abats du boucher du coin présentés fièrement à la caméra et une scène de snuff animal dont on se serait bien passé (la décapitation gratuite d’une poule qui n’avait rien demandé).
Bref, en dépit de toute l’indulgence qu’on peut avoir pour ce genre d’œuvres, il faut bien reconnaître que c’est du grand n’importe quoi : on emprunte d’un côté aux Diables (un jeune prêtre qui mène une enquête au sein d’un couvent où advinrent quelques morts mystérieuses), de l’autre à Carrie (un tout petit peu à la fin) et on pond un récit qui ne tient jamais debout, mis en scène à la va-comme-je-te-pousse (quelques plans sont quand même assez réussis).
L’autre enfer, au bout du compte, c’est peut-être celui que vit le spectateur accablé devant ce spectacle brinquebalant.