Visages du cinéma italien : 27- Le mondo
Mondo Cane (1962) de Gualtiero Jacopetti, Paolo Cavara, Franco Prosperi
Au-delà de ses qualités propres (qui sont, il faut bien le reconnaître, très limitées), Mondo Cane reste un film historique car il donna naissance à un filon juteux du cinéma d'exploitation italien (tout simplement nommé « mondo » après le triomphe de cette œuvre tricéphale) et qu'il imprégnera durablement de nombreux « genres » du cinéma bis transalpin, notamment dans cette volonté de ne pas se voiler la face devant la « réalité » et d'aller toujours plus loin dans le désir de choquer.
Mondo Cane, c'est d'abord un documentaire sensationnaliste qui entend montrer au chaland curieux les us et coutumes les plus étranges à travers le monde. Sous couvert de vérité ethnologique, les cinéastes nous présentent diverses cérémonies mortuaires, coutumes culinaires et autres bizarreries relatives aux mœurs. Jouant sur un montage alterné, ils nous font passer d'une cérémonie en Nouvelle-Guinée où les indigènes massacrent des cochons pour préparer un grand festin à un restaurant américain servant essentiellement des insectes grillés avant de revenir en Malaisie où l'on peut acheter du serpent dans la rue.
Est-ce que toutes ces images sont « réelles » ? Difficile de l'affirmer parfois et de nombreux « mondo » seront par la suite sujets à caution. Toujours est-il que le côté racoleur de Mondo Cane va, par la suite, encourager les artisans du cinéma italien à aller toujours plus loin dans trois directions dont les prémices sont posées ici : l'horreur, l'érotisme et... les massacres d'animaux.
Car prévenons nos aimables lecteurs, ce film est à déconseiller fortement aux amis des bêtes : cochons sauvages massacrés, taureaux décapités, requins à qui l'on introduit des oursins venimeux dans la gueule afin de les tuer lentement, serpents dépecés, oies gavées (à Strasbourg) ou poussins teints et chauffés dans un four pour être placés dans des œufs de Pâques à Rome... Si l'on peut estimer que les animaux n'ont pas été tués ou malmenés pour les besoins du film, ce ne sera plus le cas dans le cadre des films de cannibales (Cannibal Holocaust, Cannibal Ferox, La Montagne du dieu cannibale...), un des genres qui doit le plus au « mondo ». Mais même si la caméra se contente de filmer froidement des rites réels, ces scènes sont assez insoutenables, même lorsqu'on n'est pas végétalien.
L'une des caractéristiques du mondo sera toujours de s'appuyer sur la nécessité de témoigner, quitte à choquer (« présenter la réalité avec objectivité et sans l'édulcorer est un devoir » nous prévient un carton introductif). Mais on devine bien que c'est l'aspect choquant qui motive avant tout les cinéastes. On aura donc droit ici à une séquence de flagellants en Calabre qui se mutilent les jambes afin de revivre la passion du Christ ou encore des images de pêcheurs ayant perdu des membres lors de leurs confrontations avec les requins. Même si cette dimension « horrifique » (hors séquences avec les animaux) est relativement modérée, elle va inspirer par la suite de nombreux cinéastes. Un film comme Emanuelle en Amérique de Joe d'Amato reprend à son compte cette esthétique du « mondo » qui culmine avec les faux « snuff movies », la réalité de l'horreur atteignant un degré de non-retour lorsque les acteurs sont (prétendument) tués devant la caméra. Et puisqu'on évoque Joe d'Amato, il faut parler de l'érotisme que libérera le « mondo ». En effet, c'est encore sous couvert de montrer une réalité sans fards que les cinéastes exploreront les alcôves les plus secrètes et nous révéleront les pratiques sexuelles les plus singulières à travers le monde, remplaçant peu à peu en Italie les « films de music-hall », ces sympathiques bandes qui offraient aux adolescents d'alors l'opportunité de voir de timides strip-teases.
Là encore, il convient de souligner que Mondo Cane reste plutôt très sage sur cet aspect mais on note déjà que l'alibi ethnologique permet de filmer les femmes de peuplades reculées à moitié nues (sans doute parce que c'est une nudité « naturelle »). De manière très goguenarde, les cinéastes s'intéressent également à l'art contemporain et filment une performance d'Yves Klein (« peintre tchécoslovaque » -sic-). De quoi railler démagogiquement les prix du marché de l'art tout en profitant de l'occasion pour filmer la nudité des modèles enduits de peinture bleue.
Tout cela est plus intéressant sociologiquement et historiquement qu’artistiquement. En dépit de la musique de Riz Ortolani, le film est plutôt soporifique même s'il n'est pas mal tourné. Mais du navet érotique et exotique aux films de cannibales, il reste le précurseur de tout un pan du cinéma bis italien.