Les dessous d'une fête
The Party de Blake Edwards (2023) de Sébastien Rongier (Editions Gremese)
Il y a toujours quelque chose d’un peu intimidant à lire un essai dédié à un seul film, surtout lorsqu’il s’agit d’un film aimé par-dessus tout, vu et revu comme The Party. La crainte, peut-être, de voir un objet choyé noyé sous le flot de l’analyse. Que le scalpel du critique, à force de disséquer le corps même de l’œuvre, lui ôte sa saveur, la réduise à une simple carcasse desséchée.
Fort heureusement, Sébastien Rongier a beau être un brillant analyste, il reste d’abord un cinéphile passionné qui n’oublie jamais que toute approche du cinéma comporte forcément une part subjective. Et plutôt que de décortiquer pour la millième fois un film, mieux vaut essayer de traduire les émotions qu’il peut encore susciter en nous, de tisser des liens plus intimes. L’auteur s’était fort bien acquitté de l’exercice en consacrant un ouvrage à Psychose d’Hitchcock (Alma a adoré). En s’attaquant au chef-d’œuvre de Blake Edwards, Sébastien Rongier cherche à préserver un équilibre similaire entre l’exégèse « scientifique » et une certaine subjectivité :
« Ma redécouverte de The Party de Blake Edwards survient à un moment de ma vie assez triste. Pour tout dire, c’était même sombre. Je crois que The Party m’a sauvé la vie. Pas littéralement. Mais il m’aura réellement permis de tenir le coup, de ne pas m’enliser dans une tristesse pesante. »
En guise de prologue, l’auteur dresse en quelques lignes les enjeux du film, sa place toute particulière dans l’œuvre de Blake Edwards, son rapport au burlesque et l’accentuation de cette dimension grâce à la rencontre avec Peter Sellers tout en évoquant, de manière plus subjective, les liens qu’il a tissés avec ce film.
Arrive ensuite la partie principale de l’essai : le récit du film. Et là, avouons-le, Sébastien Rongier nous a fait un peu peur. En effet, tout lycéen sait que le commentaire linéaire d’une œuvre est la chose la plus difficile à faire et que, sans arrêt, plane la menace de la paraphrase ou de la répétition. De la même manière, se contenter de « raconter » le film pouvait amener à une approche purement descriptive. Par chance, l’auteur évite brillamment tous ces écueils. Chaque séquence donne lieu à une interprétation stimulante. Les principaux motifs du film sont présentés avec finesse et clarté : le pouvoir destructeur du burlesque, les références à Tati, à Laurel et Hardy, la mécanique des gags, la part d’improvisation, la critique d’Hollywood… Mais à l’instar du film où chaque gag se répercute et trouve des échos plus tardifs dans le récit, l’essai de Sébastien Rongier passionne par la manière dont il tire un fil de chaque séquence pour le reprendre ensuite en cours de route, la développer et trouver ainsi des jeux de correspondances, de rimes, d’échos. Son The Party est un ouvrage à la fois « fermé » en ce sens qu’il passe au peigne-fin chaque élément du film pour l’interpréter mais c’est aussi un ouvrage « ouvert » dans la mesure où il débouche sur de nombreuses perspectives, qu’il jette des ponts aussi bien vers l’œuvre de Blake Edwards que vers l’histoire du cinéma américain en général (notamment le trait d’union qu’il établit entre les burlesques primitifs et les humoristes actuels comme les Farrelly ou Judd Apatow).
Richement illustré, agrémenté d’annexes où l’on pourra lire quelques extraits d’interviews du metteur en scène et un panel choisi de critiques, The Party de Blake Edwards offre le plaisir de se replonger dans le film sans le regarder, d’y découvrir de nouveaux secrets et donne envie de le revoir toutes affaires cessantes.