Visages du cinéma italien : 32- l'érotisme
Black Emanuelle (1975) de Bitto Albertini avec Laura Gemser, Karin Schubert, Gabriele Tinti, Venantino Venantini
Il pourra vous sembler étrange que je dédie une note entière à l’érotisme puisque cet élément apparaît de manière récurrente dans le voyage que je vous propose à travers le cinéma italien. Dans la mesure où je privilégie les années 60 et 70 dans le cadre de ce panorama, on aura pu constater que ce condiment érotique irrigue une grande partie des œuvres des cinéastes étudiés (Tinto Brass, Samperi, Festa Campanile, Patroni Griffi…) mais également les genres abordés : le giallo, la comédie sexy, le WIP movie, le Mondo, etc.
Comme tous les pays occidentalisés, mais avec un peu plus de retard et de façon plus retorse (poids du catholicisme oblige), le cinéma italien va suivre la pente de la libération des mœurs et offrir à l’érotisme une place de plus en plus prégnante. Une des spécialités de nos voisins transalpins, nous l’avons répété à de multiples occasions, est l’exploitation de filons juteux (sans mauvais jeux de mots) et le démarquage de succès internationaux. En 1974, le cinéma français est ébranlé (toujours sans jeux de mots) par le triomphe d’une jeune femme libérée incarnée par Sylvia Kristel : Emmanuelle. Le film donne lieu à une suite signée Francis Giacobetti (intitulée Emmanuelle 2 : l’antivierge) où apparaît une jeune métisse d’origine indonésienne : la divine Laura Gemser. Elle est engagée dans la foulée pour devenir Emanuelle (avec un seul « m » pour éviter les accusations de contrefaçon), belle photo-reporter voyageant à travers le monde et multipliant les aventures amoureuses. A tel point que notre héroïne se souvient soudain de sa mission première aux trois quarts du métrage en proclamant de manière amusante : « n’oublions pas la raison pour laquelle je suis venue » (car le cinéaste , lui, semblait l’avoir éludée depuis longtemps).
Débutant dans un avion, avec une scène qui jette un pont évident avec le navet de Just Jaeckin, Black Emanuelle déroule sans la moindre surprise son programme que l’on pourrait résumer ainsi : exotisme et érotisme. Côté exotisme, le spectateur aura droit à quelques cartes postales de Nairobi, de la nature kényane, du Kilimandjaro et les inévitables stock-shots d’animaux sauvages : rhinocéros, zèbres, éléphants… Reconnaissons que la photographie est plutôt belle. Au niveau de l’érotisme, on reste dans le domaine du « soft » le plus convenu avec quelques embrassades au bord de la piscine, quelques ébats mollement filmés et des héroïnes qui se dénudent assez facilement tout en restant relativement préservées par la caméra du tâcheron Albertini qui ne s’approche que très rarement des parties les plus intimes de l’anatomie de ces dames. Enfin, je parle ici de la version originelle car j’ai visionné une copie caviardée par de brefs inserts hard fort disgracieux. Trop courts pour avoir des vertus masturbatoires mais suffisamment explicites pour enlaidir les séquences, ils ne présentent pas le moindre intérêt et ajoutent un côté très mal-fichu à un film ne brillant déjà pas par sa mise en scène. Il s’agit sans doute d’une copie tardive destinée à pimenter un film déjà démodé par l’arrivée massive du porno aux États-Unis et dans un certain nombre de pays européens au milieu des années 70. Précisons, bien évidemment, que les comédiens n’ont pas participé à ces inserts (le distributeur sagouin qui les a ajoutés- car ils n’ont pas été tournés par le cinéaste, n’ont même pas pris la peine de prendre des doublures qui puissent être un tant soit peu raccord).
Que dire d’autre ? A côté de Laura Gemser, on retrouve Gabriele Tinti qui rencontrera l’actrice à l’occasion de ce tournage, en tombera amoureux et qui, systématiquement, tournera avec elle dans les autres films de la saga. L’autre héroïne du film, celle qui héberge Emanuelle dans sa belle maison, c’est Karin Schubert, l’inoubliable princesse de La Folie des grandeurs qui, par la suite, fera carrière dans le cinéma d’exploitation avant de terminer dans le porno. Avec ses cheveux coupés courts, elle forme un beau duo avec Laura Gemser et la scène où elles se photographient mutuellement est sans doute la meilleure du film. En dépit d’une réalisation catastrophique (ralentis miteux ponctués d’arrêts sur image), cette scène dégage un peu de sensualité grâce à la splendeur de ces deux héroïnes. Notons également que la musique de Nico Fidenco (disparu il y a quelques mois), entre percussions africaines et variété italienne, reste en tête et a gardé une certaine renommée.
Mais pour conclure, il manque à ce premier volet de ce qui deviendra une longue saga le côté déviant que saura lui imprimer Joe d’Amato. Que ce soit dans Emanuelle et les derniers cannibales ou, mieux, dans les ahurissants Black Emanuelle en Amérique et Emanuelle autour du monde, le cinéaste mêlera les registres (mondo, horreur, pornographie soft et hard, aventures…) et explorera les limites de la représentation (snuff movie, zoophilie…) avec un aplomb qui manque à ce ronronnant produit manufacturé à peine digne des soirées du dimanche soir sur M6 d’il y a 25 ans.