Visages du cinéma italien : 36- la nazisploitation
Les Tigres du désert (1977) de Luigi Batzella avec Richard Harrisson, Lea Lander
Nous nous sommes plusieurs fois attardé sur un sous-genre particulièrement fécond du cinéma bis italien : le film de « femmes en prison » (aussi abrégé WIP films). Or comme tous les filons italiens, il a fini par muter, par se dégrader et donner naissance à l’un des genres les plus controversés qui soit : la « nazisploitation ». A la suite du succès de Salon Kitty de Tinto Brass, les artisans les moins scrupuleux du bis (Garrone, Di Silvestro, Mattei…) ont adapté les codes du film de femmes en prison à l’univers concentrationnaire nazi. Les motifs sont les mêmes : tortionnaires sadiques, douches collectives, humiliations en tout genre, lesbianisme de rigueur… Mais on ajoute ici un surplus de cruauté en convoquant tout le décorum du troisième Reich, renvoyant immédiatement aux horreurs réelles perpétrées par le régime. Difficile donc d’aller plus loin dans le mauvais goût car les atrocités de l’Histoire servent dans ce cadre à exciter les pulsions les plus primaires chez le spectateur (pour la violence et l’érotisme). Mais si on passe outre ces questionnements moraux (après tout, l’art sert aussi à nous confronter à nos fantasmes les plus inavouables), on pourra prendre un certain plaisir face à ces films carnavalesques qui n’entendent pas asséner des vérités historiques mais qui relèvent davantage de la BD pour adultes avec ses conventions et ses outrances.
Cinéaste totalement allumé, Luigi Batzella – à qui nous devons l’étonnant Les Vierges de la pleine lune et le délirant Nuda per Satana- signera l’un des nazisploitations les plus crapoteux et les plus déjantés : Holocauste nazi (aka La Bestia in calore). Avant cela, il s’était déjà illustré dans le genre avec ces Tigres du désert aussi connu sous le nom de Erika, les derniers jours des SS. Le film ne relève d’ailleurs pas totalement du filon et s’avère, comme souvent chez Batzella, totalement hétérogène.
En effet, le récit débute par des combats guerriers dans le désert. Dans la mesure où le cinéaste se contente de coller bout à bout un certain nombre de stock-shots pour donner l’illusion d’un film à gros budget, le spectateur est totalement largué. Il ne voit qu’une succession de fusillades, d’explosions et de bombardements, sans savoir qui sont les personnages principaux et les enjeux de l’histoire. On comprendra ensuite que ces soldats américains ont été capturés par les nazis et qu’ils chercheront à s’évader avec la complicité d’une infirmière. Dans cette partie centrale, Batzella pénètre de plain-pied dans le sous-genre qui nous intéresse. D’un côté, en jouant la carte d’un érotisme assez crapoteux quoique soft : prisonnières déshabillées de force et copieusement insultées (notamment par le biais de nombreuses invectives antisémites et racistes), scène de douche collective où les détenues sont attachées et brutalement savonnées, masochisme d’une cruelle matonne (Lea Lander) qui ordonne à sa subordonnée de la fouetter violemment… De l’autre, Batzella recourt à une violence sadique qui éclate çà-et-là : dos lacérés par le fouet des prisonniers, castrations peu ragoutantesi ou encore cette scène où l’officier nazi force un « traître » à boire un verre d’urine.
On réalise alors à quel point Salo de Pasolini a pu ouvrir une brèche chez de nombreux artisans moins consciencieux, utilisant le cadre du totalitarisme nazi pour réifier, humilier et exhiber les corps.
Paradoxalement, et quitte à faire blêmir les influenceuses fragiles qui – sans les avoir vus- pestent contre les films de cette catégorie, cette partie de pure « nazisploitation » est la meilleure de l’œuvre. Car après l’évasion du commando américain, Batzella retrouve les sentiers du film de guerre assommant, avec ses extraits de films non étalonnés (la teinte des images est différente) et son bout-à-bout d’explosions diverses qui n’apportent que des bâillements.
Brinquebalant et mal fagoté, Les Tigres du désert est sans doute le plus mauvais film du cinéaste (en tout cas, des quatre que j’ai pu voir) et n’excitera la curiosité que des plus curieux « complétistes ».
NB : Pour d'autres notes sur la "nazisploitation", on pourra se reporter à ce petit panorama estampillé Eurociné ou à cette chronique là.
i Il faudrait faire une étude sur les castrations dans le cinéma « bis » italiens (songeons à Cannibal Ferox de Lenzi). Tout se passe comme si les réalisateurs, s’adressant avant tout à ses pulsions scopiques, punissait le spectateur mâle de ses péchés de concupiscence…