Visages du cinéma italien : 37- Luigi Comencini
Qui a tué le chat ? (1977) de Luigi Comencini avec Ugo Tognazzi, Mariangela Melato, Michel Galabru
Après avoir éclusé les bas-quartiers du cinéma bis, revenons un peu aux cinéastes italiens dits « classiques ». Encore qu’il serait plus intéressant de tordre le cou aux idées reçues, de prouver que ne s’opposent pas de manière schématique deux formes de cinéma antagonistes, avec d’un côté les grands cinéastes légitimes et, de l’autre, un cinéma populaire malfamé. Thoret, en évoquant L’Oiseau au plumage de cristal de Dario Argento, soulignait d’ailleurs la manière dont ce giallo fondateur entretenait des liens étroits avec le Blow Up d’Antonioni. De la même manière, on pourrait sans doute trouver de nombreux exemples des façons dont le cinéma de genre a irrigué un cinéma plus « prestigieux ». On peut en voir des traces lointaines dans Qui a tué le chat ? puisque l’héroïne (Ofelia, incarnée par Mariangela Melato) est une dévoreuse de « gialli » et parce que Comencini construit son film autour d’une (vague) enquête policièrei.
Nous n’irons pas jusqu’à faire de ce film un rejeton « noble » de la longue tradition du giallo puisque Comencini s’inscrit davantage dans une veine qui lui est chère : celle de la comédie satirique et décapante. Ofelia possède avec son frère Amedeo (Ugo Tognazzi) un immeuble dont ils aimeraient se débarrasser. Mais pour pouvoir faire une affaire juteuse avec un promoteur immobilier, ils doivent d’abord chasser un par un les locataires des lieux. Très proches et n’arrêtant pas pour autant de se chamailler, le frère et la sœur voient dans le meurtre de leur chat une bonne occasion pour mener l’enquête sur lesdits locataires et les pousser dehors.
Cette investigation n’est qu’un prétexte pour l’auteur de L’Incompris et Casanova, un adolescent à Venise pour brosser un tableau extrêmement sarcastique d’un microcosme révélateur de la bassesse des passions humaines. Au cours des années 70, le cinéaste va d’ailleurs se montrer de plus en plus hargneux et nihiliste dans ses comédies, jouant sur des lieux circonscrits pour peindre des personnages tous plus affreux, sales et méchants les uns que les autres (songeons aux automobilistes coincés dans Le Grand Embouteillage). Comme dans L’Argent de la vieille, Amedeo et Ofelia sont des êtres veules, uniquement intéressés par le fric qu’ils se partagent après moult disputes. Ils ne pensent qu’à accumuler et à piller ce que l’autre pourrait avoir en plus. Cela se traduit jusque dans leurs assiettes puisque Ofelia chipe la mortadelle de son frère tandis que lui se venge en mangeant les pages finales de ses polars afin qu’elle ne connaisse pas la clé des intrigues qu’elle dévore.
Mais tout leurs locataires sont du même tonneau : tenancière d’un bordel clandestin, mafieux, financier véreux… Comencini s’en donne à cœur joie et tape sur tout ce qui bouge : les prêtres (« tous des obsédés », dit Tognazzi), les flics (avec un Galabru parlant italien – ce qui sonne étrange à nos oreilles- et faisant preuve d’une remarquable incompétence) mais aussi, époque oblige et c’est moins sympathique, des homosexuels… Marmin, dans Le Figaroii de l’époque, évoquait un film « célinien ». Il y a, en effet, un mélange pas toujours bien dosé mais néanmoins souvent intéressant, de haine misanthrope et de verve burlesque dans Qui a tué le chat ? Comencini se plaît à filmer les instincts les plus vils et bas de l’être humain. Ugo Tognazzi s’en donne à cœur joie pour jouer une crapule qui s’invite chez ses locataires sans le moindre scrupule, qui sait se montrer onctueux avec les plus puissants et fuyant à la moindre occasion.
Nous n’irons pas jusqu’à prétendre que le film fait partie des œuvres majeures de Comencini ou qu’il constitue un fleuron de la comédie à l’italienne mais ce jeu de massacre s’avère globalement réjouissant. Ajoutons, pour conclure, qu’il est accompagné d'une excellente partition signée par l’incontournable Ennio Morricone.
i Petit détail croustillant, c’est Sergio Leone – prince du western et peu considéré alors- qui a produit le film.
ii Cité dans le Guide des films de Jean Tulard.