Les vampires de l'espace
Lifeforce (1985) de Tobe Hooper avec Mathilda May, Steve Railsback, Peter Firth, Frank Finlay (Editions Sidonis Calysta)
Les admirateurs de Tobe Hooper vont être ravis dans la mesure où les éditions Sidonis ressortent aujourd’hui la version « director’s cut » de Lifeforce, soit un film durant près de deux heures (au lieu des 100 minutes que nous connaissions). N’ayant pas revu l’œuvre depuis au moins 30 ans, je dois vous avouer que je suis bien incapable de vous dire ce qui change réellement dans cette version allongée mais si on en croit la plus célèbre des encyclopédies en ligne (ne jamais le faire aveuglément !), ce nouveau montage offrirait des scènes supplémentaires à bord de la navette Churchill et du vaisseau extra-terrestre et présenterait quelques moments violents et/ou érotiques en plus.
S’il fallait trouver un mot pour définir d’emblée Lifeforce, c’est celui d’ « hybride » qui viendrait à l’esprit. Et c’est sans doute ce caractère qui fit que le film reste généralement assez mal-aimé. Or si Hooper ne se hisse évidemment pas au niveau de Massacre à la tronçonneuse, son unique chef-d’œuvre, force est de constater que Lifeforce ne mérite pas non plus l’opprobre et la critique incendiaire que l’on peut trouver, par exemple, dans le Guide des films de Tulard où le cinéaste est relégué au rang d' «incommensurable tâcheron » et d'"énergumène".
Hybride, le film l’est d’abord par son enveloppe puisque Hooper s’inscrit délibérément dans une esthétique de série B (on songe à ces films de science-fiction des années 50 ou même à La Planète des vampires de Bava) mais une série B qui serait « surproduite », bénéficiant des gros moyens de la Cannon et de ses magnats Globus et Golan. Le récit est donc ponctué de scènes dignes d’un film d’action avec force moyens pyrotechniques tout en se révélant peu avares d’effets spéciaux qui, il faut bien en convenir, ont plutôt mal vieilli (ces champs magnétiques bleuâtres symbolisant la « force » dont se nourrissent les vampires de l’espace). Ce hiatus entre une histoire qui aurait mérité une certaine économie de moyens et cette débauche d’effets donne au film un aspect boiteux mais pas inintéressant.
Ce caractère hybride se retrouve également dans les registres employés par Tobe Hooper. Scénarisé par Dan O’Bannon d’après un roman de Colin Wilson (Les Vampires de l’espace), on songe évidemment d’abord à Alien, avec cette mission spatiale qui découvre, niché dans la queue de la comète de Halley, un vaisseau étrange où vivent en hibernation, dans des sarcophages en verre, trois humanoïdes totalement nus. Ces extra-terrestres sont des sortes de vampires qui se nourrissent de la « force vitale » des individus, les transformant immédiatement en espèce de momies décomposées.
Une fois sur terre, la femme extra-terrestre (la divine Mathilda May) s’échappe et provoque bien des émois sur son passage. A la fois la peur car l’approcher provoque une mort sûre (de vampire !) mais aussi le désir car elle est une pure projection fantasmatique d’une féminité parfaite (et c’est peu dire que le rôle convient parfaitement à l’actrice !).
Mais après le film de Ridley Scott qui jouait davantage sur le huis-clos et une menace cachée, Tobe Hooper anticipe de quelques années un autre film fantastique : Hidden de Jack Sholder. En effet, la belle extra-terrestre à la capacité de se débarrasser de son enveloppe charnelle et de se dissimuler dans d’autres corps. Le cinéaste joue de manière assez habile sur cette idée de transmission du mal et d’une contamination qui finit par gagner la ville entière (Londres). De fait, la fin évoque un peu le Zombie de Romero avec une population gangrénée par les « vampires » et obligée de s’entretuer pour se nourrir de cette fameuse « force vitale ».
Explorant ces divers registres, Hooper peut passer d’une relecture assez habile du mythe du vampire, avec ce que cela peut supposer de romantisme noir (la manière dont l'unique rescapé de la mission spatiale Tom Carlsen se trouve totalement envouté et amoureux fou de la belle inconnue venue de l’espace), à des scènes pyrotechniques un peu kitsch en passant par des passages plus horrifiques plus ou moins convaincants.
Ce côté foutraque constitue à la fois la limite du film mais lui donne aussi son petit cachet. Il reste dans Lifeforce une dimension mal élevée qui réjouit aujourd’hui. On a, en effet, du mal à imaginer une œuvre de science-fiction contemporaine où l’héroïne se promènerait en tenue d’Eve pendant toute la durée du film ou presque. La puissance érotique que dégage Mathilda May, y compris lorsque le cinéaste se contente de plans rapprochés sur son visage et son regard magnétique, n’est pas pour rien dans le charme de l’œuvre.
Alors sans être une œuvre majeure de Tobe Hooper, Lifeforce mérite néanmoins un petit coup d’œil, ne serait-ce que pour cette tentative de mêler dans le même récit la science-fiction, le fantastique, l’action et l’horreur. Le tout enrobé par la musique symphonique du grand Henry Mancini.