Cinéma(ra)t(h)on : J-135
Cinématon n°3001-3015 (2017-2018) de Gérard Courant
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Jean-Jacques Sempé - Cinématon n°3012
L’année 2017 s’est terminée de fort belle manière pour Gérard Courant tout en laissant le spectateur face à une énigme. En effet, alors que le portrait 3001 est désormais recensé partout sous le nom de Carole Suzanne (site de l’auteur, You Tube, IMDB…), je possède une version (collector ?) où le carton introductif du film indique comme patronyme du modèle « Caroline Jamet ». Est-ce une erreur ? Un changement de nom ? Toujours est-il que cette très belle poétesse brune, aux yeux en amandes, nous offre l’occasion de constater l’importance du hors-champ au cinéma en apparaissant d’abord épaules nues, laissant ainsi imaginer (espérer ?) qu’elle ne porte rien en-dessous de la ligne que délimite le cadre. A la faveur de divers mouvements où elle remet ses cheveux en place, nous réalisons qu’elle porte un pull mais peu importe : le jeu de séduction fonctionne parfaitement et il sera difficile de ne pas fondre devant son beau sourire.
2018 débute avec une vidéaste, Elisa Bonnet (n°3002) dont le travail semble porter (merci Google !), entre autres, sur la question de l’identité. Sans doute est-ce pour cette raison qu’elle fait cohabiter sur son visage une fine moustache et du rouge à lèvres.
Un des grands plaisirs de Cinématon reste celui de croiser le visage d’amis, même s’ils ne sont que « virtuels ». Cela fait des années que nous discutons plus ou moins régulièrement avec David Davidson (n°3006), jeune historien du cinéma canadien qui connaît sur le bout des doigts l’histoire des Cahiers du cinéma et comme nous ne nous sommes jamais croisés, c’est l’occasion de le retrouver ici chez Gérard Courant, volubile et souriant.
Le 27 mai 2018, Gérard Courant est convié à la fête de Printemps organisée par Benoît Duteurtre et Jean-Sébastien Richard où il pourra filmer une douzaine de portraits dont le plus célèbre restera sans conteste celui du grand Jean-Jacques Sempé (n°3012). Si l’on excepte l’écrivaine Marion Messina (n°3010) qui présente à la caméra son premier livre (Faux Départ) et qui tente, en vain, de nous en faire lire quelques extraits, la plupart des modèles ne font rien, ce qui ne facilite pas – on en conviendra- la tâche du chroniqueur. Nous nous concentrerons donc, pour évoquer cette salve de cinématons, sur la question du regard. Car au fond, il s’agit toujours de savoir comment affronter la caméra impassible de Gérard Courant. Certains jouent la carte de la confrontation droit dans les yeux, à l’instar du compositeur Guillaume Connesson (n°3008) ou de l’écrivain Morgan Sportès (n°3011), qui ne se départit jamais d’un petit sourire en coin. Pour d’autres, l’exercice s’avère plus difficile : l’élégante peintre Fanny Houillon (n°3007) semble intimidée tandis que la professeur de théâtre Marie Thouément (n°3015) laisse transparaître son inquiétude (réelle ou jouée, cela reste le mystère de l’exercice) en jetant des regards fuyants sur la gauche ou la droite.
Enfin, il y a ceux dont le regard se pose dans le lointain, ignorant avec plus ou moins de superbe l’œil impitoyable de la caméra. C’est le cas du pianiste et compositeur Karol Beffa (n°3013) et surtout celui de Sempé dont les yeux, où le spectateur se plaît à percevoir une certaine mélancolie amusée (le film a été tourné quatre ans avant sa mort), sont déjà ailleurs, loin vers l’horizon. Tout se passe comme s’il percevait la futilité de l’instant présent et qu’il avait déjà l’éternité avec lui…