Le charme discret du cabotin
Daaaaaali ! (2023) de Quentin Dupieux avec Anaïs Demoustier, Edouard Baer, Jonathan Cohen, Romain Duris, Pio Marmaï, Gilles Lellouche
Le système de Quentin Dupieux semble bien rodé : des tournages rapides (au moins un film par an), des films courts et une inclination jamais démentie pour l’humour absurde et le non-sens. Que le cinéaste croise aujourd’hui la figure de Salvador Dali n’a donc rien d’étonnant puisqu’au-delà de son appartenance au mouvement surréaliste, le peintre fut surtout un grand excentrique, adepte effréné de la mise en scène de soi. C’est d’ailleurs davantage au personnage médiatique que s’intéresse Dupieux qu’à l’artiste. Prenant comme prétexte une interview que ne parvient pas à mener une journaliste néophyte (la fidèle et toujours excellente Anaïs Demoustier), il construit son récit autour d’une figure qui ne cesse de se dérober et qui se transforme d’un plan à l’autre (pas moins de six acteurs pour l’incarner).
L’écueil du cinéma de Dupieux, c’est que si on n’adhère pas à son univers et à son humour, il n’y a aucune branche à laquelle se raccrocher. Après les (relatives) réussites de Fumer fait tousser et Yannick, Daaaaaali ! commence par faire peur tant sa mise en place s’avère laborieuse. Misant avant tout sur le cabotinage de ses comédiens (sous cet angle, Edouard Baer et Jonathan Cohen s’en tirent bien mieux que Gilles Lellouche et Pio Marmaï, pas très bons tous les deux), le film n’a rien d’autre à proposer qu’un festival de grimaces.
Arrive le récit du rêve d’un prêtre et le film trouve alors son rythme et sa raison d’être : celle d’un enchâssement assez habile de saynètes qui s’emboitent comme des poupées russes. Dupieux s’inscrit alors davantage dans le sillage de celui qui apparaît comme la véritable figure tutélaire du film : Luis Buñuel (toutes proportions gardées, évidemment). Tout rappelle le maître dans Daaaaaali !, de l’assassinat du prêtre au fusil qui vient de La Voie lactée jusqu’à l’interprétation du même personnage par différents acteurs (comme dans Cet obscur objet du désir). Mais c’est surtout au Charme discret de la bourgeoisie que l’on songe, notamment dans cette façon de jouer la carte de la frustration face à un personnage qui se dérobe constamment (dès le début du film, Dali/Baer traverse un couloir d’hôtel qui ne semble jamais finir) ou encore d’imbriquer des rêves dans le rêve sans que l’on sache réellement à quel niveau de « réalité » nous nous trouvons.
Il manque sans doute au film la charge corrosive et subversive des chefs-d’œuvre de Don Luis, l’absurde chez Dupieux peinant à dépasser une dimension puérile qui, personnellement, me hérissait dans ses premières œuvres (je déteste Steak et Rubber, par exemple). Mais l’habileté de la construction lui permet, à certains moments, de renouer avec l’étrange et insolite familiarité qui guidait ses meilleurs titres (Réalité, Au poste !).
Sans compter parmi ses meilleurs films, Daaaaaali ! finit malgré tout par être ce qu’on apprécie chez Dupieux : une comédie qui ne ressemble à rien de ce qui se fait en ce moment, un ovni absurde parfois un peu poussif, parfois réjouissant.