Sur quelques films récents
Je m’étais promis, afin d’alimenter plus ou moins régulièrement ce blog, de vous toucher quelques mots des sorties récentes sur grand écran. Or je constate que j’ai pris énormément de retard et je vais tenter de le combler le temps d’un bilan succinct. Je n’évoquerai pourtant pas ici S.O.S Fantômes : la menace de glace de Gil Kenan puisque je l’ai découvert avec ma fille et que ce genre de sortie est, par définition, toujours agréable. Ni les deux reprises vues dans des conditions optimales, à savoir le Lawrence d’Arabie de David Lean, enfin découvert sur le bel écran de la salle du hangar à l’Institut Lumière ou encore le premier film d’Erich Von Stroheim, Blind Husbands (La Loi des montagnes) en ciné-concert, ce qui m’a permis de réévaluer une œuvre que j’avais découverte dans une mauvaise copie sur YouTube et qui annonce déjà tous les grands films de Stroheim (auscultation cruelle des rapports humains, cynisme réjouissant…). Pas le temps de m’étendre non plus sur le beau court-métrage de Fatima Kaci La Voix des autres (disponible ici), vu sur le grand écran de la FEMIS à l’occasion d’une découverte de l’école et d’une présentation d’un exemple de film réalisé par d’anciens étudiants. Le film témoigne d’une belle sensibilité et d’un véritable talent même si on peut regretter parfois le côté très « fémis » de l’œuvre (regards et non-dits signifiants, cadre presque trop élaboré…). Gageons que lorsque Fatima Kaci saura se libérer de certains carcans et faire respirer son cinéma, nous tiendrons alors une cinéaste à suivre de près.
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© Les Films du losange
La Machine à écrire et autres sources de tracas (Nicolas Philibert) **
Fin avril, nous avons pu découvrir la troisième volet de la trilogie documentaire que Nicolas Philibert a consacré à la psychiatrie et à ses institutions. Le film est une sorte de court codicille aux très beaux Sur l’Adamant et Averroès & Rosa Parks et se déroule essentiellement chez des patients à leur domicile, en proie à quelques soucis domestiques : machine à écrire qui ne fonctionne plus, lecteur CD en panne ou, tout simplement, difficultés pour faire du rangement… La forme est un peu plus ingrate dans la mesure où le cinéaste se contente d’aligner quelques saynètes qui peinent parfois à transcender l’élément anecdotique qui les déclenche. Et comme on ne retrouvera pas les patients filmés à d’autres occasions, le film paraît un peu moins riche que les deux précédents. Ces réserves posées, on reste touché par la grande humanité du regard de Philibert et l’on est ravi de retrouver le formidable Frédéric Prieur avec qui nous avions fait connaissance dans Sur l’Adamant. Avec sa dégaine et sa voix (surtout la voix !) à la Houellebecq, cet artiste fabulateur nous régale de ses histoires et montre très bien que ce que la norme définit comme la folie peut n’être parfois (n’en faisons pas une règle générale) qu’une forme d’inadaptation à la société que subissent les poètes et les rêveurs.
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© Pyramide Distribution
Le Tableau volé (Pascal Bonitzer) **
Cela faisait longtemps que je n’étais pas allé voir de films de Pascal Bonitzer, mes dernières expériences m’ayant plutôt échaudé (Le Grand Alibi ne m’a laissé aucun -bon- souvenir). A ce titre, le film constitue plutôt une agréable surprise, tentant de renouer avec deux styles de comédie qui firent la grandeur du Hollywood classique. D’une part, la comédie sophistiquée à la Lubitsch dans une première partie. D’autre part, la fable optimiste à la Capra dans la seconde. Décrit ainsi, on risque d’écraser ce film modeste sous ces modèles qu’il n’égale évidemment jamais. Néanmoins, on peut prendre plaisir dans un premier temps à un récit plutôt bien écrit, superbement joué par Léa Drucker, Alex Lutz (parfait en commissaire-priseur cynique) et surtout Louise Chevillotte dont le personnage de menteuse patentée apporte une sorte de double fond psychanalytique et malicieux à une histoire très linéaire et « ligne claire ». La « ligne Capra » me paraît moins bien tenue et si l’on est ravi de revoir Laurence Côte sur un grand écran, le regard sur la jeunesse (les deux amis autour de celui qui se révèle posséder le fameux tableau volé) me paraît plus convenu et pas très intéressant. La fin, émolliente, ne me paraît pas très réussie non plus mais, encore une fois, le film reste dans l’ensemble plaisant. Manque juste un peu plus d’ampleur romanesque pour emporter vraiment.
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© Swashbuckler Films
The Palace (Roman Polanski) *
Paradoxe que de parler de ce film puisqu’il ne m’a pas été possible de le voir en salle. En effet, il n’est pas sorti en province (à de très rares exceptions près) et même les spectateurs parisiens en ont été privés très vite à cause de quelques demeurés, évoquant les sinistres commandos anti-IVG ou les bigotes d’antan, manifestant devant les salles qui projetaient Je vous salue Marie de Godard et La Dernière Tentation du Christ de Scorsese. On ne cédera pas à la panique morale en évoquant la fameuse « cancel culture » mais on peut quand même s’inquiéter sérieusement de l’inclination évidente de certaines bonnes âmes, bien évidemment au nom du Bien et du progressisme, pour une véritable censure des œuvres (que Polanski soit condamnable par ailleurs est un autre débat que je n’ouvrirai pas ici). La presse, toujours prompte à brandir la fameuse liberté d’expression (à juste titre d’ailleurs !) lorsqu’il s’agit de Guillaume Meurice n’a pas bronché dans ce cas et fit preuve même d’une belle hypocrisie en massacrant le film. A l’exception courageuse des collègues de Culturopoing, tout le monde a tiré à boulets rouges sur The Palace, moyen assez pleutre de passer par l’œuvre pour attaquer Polanski sans avoir à se mouiller d’un point de vue « moral ». Après, il faut bien reconnaître que le film prête le flanc à ces attaques et ne comptez pas sur moi pour le défendre. Malgré cela, il ne mérite absolument pas l’opprobre qui l’a frappé. On retrouve même dans ce film certains thèmes polanskiens : le lieu clos (un immense palace à la veille de l’an 2000), les promiscuités grimaçantes (de Cul-de-sac – version réussie- à Carnage – version ratée-). Mais rarement Polanski aura été aussi agressif. Son film est un véritable bras d’honneur à une humanité qu’il regarde dans toute son horreur et à un crachat sur un monde qui court à sa perte : mafieux russes, millionnaires décrépis, vieillards libidineux… Tous les personnages sont atroces dans The Palace et du godemichet appartenant à Fanny Ardant jusqu’aux visages totalement refaits de Rourke et Sydne Rome (héroïne de What ?), tout suinte la laideur, la frustration… La fable est très, très lourde mais elle n’est pas si mal fichue et certains passages se révèlent même assez drôles (j’avoue que la mort de John Cleese, relecture burlesque de la fin tragi-comique du président Félix Faure, m’a fait rire). Certes, on peut se demander si le cinéaste n’est pas atteint d’une certaine sénilité lorsqu’il manifeste un goût très régressif pour la scatologie mais tout cela ne méritait sans doute pas les attaques haineuses dont The Palace fit l’objet. Polanski se rapproche davantage des films cyniques des démiurges malveillants que sont Ostlünd (The Square) ou Haneke dernière période (Happy End), qui eux, bénéficient d’un accueil contrasté mais plutôt favorable de la presse. Gageons que dans 30 ou 40 ans, les nouvelles générations découvriront ce film avec curiosité et sauront l’évaluer en faisant abstraction de la personnalité controversée du cinéaste.
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© Chi-Fou-Mi Productions / Arte cinéma
Le Deuxième Acte (Quentin Dupieux) **
Encore un cinéaste qui agace certains mais évidemment pour d’autres raisons. Que Dupieux ait commis le crime de lèse-majesté en faisant tourner en bourrique les journalistes lors d’une conférence de presse à Cannes ne va sans doute pas arranger ses affaires mais témoigne de son goût pour faire dérailler (très modestement) le système. Ses films sont à cette image : pas « révolutionnaires » pour un sou mais néanmoins des petits cailloux dans les rouages trop huilés du cinéma français : rupture avec la naturalisme en vigueur, goût pour la mise en abyme et les récits gigognes, refus de toute psychologie ou de tout « message »… Le Deuxième Acte ne dépareille pas dans ce tableau et s’inscrit dans la lignée des films de Blier avec des acteurs qui jouent quasiment leur propre rôle (Léa Seydoux évoque les « tics » de Vincent Lindon, par exemple) et qui brisent sans arrêt le quatrième mur en s’adressant directement à la caméra ou en évoquant le rôle qu’ils sont en train de tourner. Le film fonctionne très bien dans sa première partie, avec des acteurs très en verve (Raphaël Quenard, notamment) et des dialogues qui font mouche, égratignant au passage quelques travers de l’époque (le « politiquement correct », la suspicion généralisée à l’égard des mots et gestes des comédiens…). Mais au-delà de ces clins d’œil amusants, Dupieux poursuit son idée qu’il n’y a désormais plus de récits possibles et que ces nouvelles susceptibilités empêchent une histoire commune. C’est le spectateur outré de Yannick qui désire changer le cours de la pièce qu’il regarde, ce sont les micros-fictions de Fumer fait tousser qui ne parviennent plus à faire corps (comme le montre littéralement un sketch…)… L’idée la plus drôle et la plus vertigineuse du Deuxième Acte est que le film en train de se faire est généré par une intelligence artificielle et qu’il n’est donc plus qu’un produit anonyme et vide, destiné à alimenter la chaîne de production/diffusion/consommation. Un film de l’époque des algorithmes Netflix, en quelque sorte.
Fasciné par le vide, Dupieux a néanmoins du mal à trouver un second souffle et ses films restent toujours un peu bancals. Daaaaaali ! fonctionne mieux dans sa deuxième partie que dans la première alors que Le Deuxième Acte, comme Incroyable mais vrai, a du mal à se terminer. Après une scène de rupture forte que je ne dévoilerai pas, Dupieux peine à rembrayer et la fin du film se délite un peu. Mais à cette réserve près, le résultat est constamment intéressant et souvent drôle.
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© afbrillot
La Petite Vadrouille (Bruno Podalydès) ***
Plutôt que supporter les motos vrombissantes dans le désert australien de Furyosa, j’avoue avoir préféré profiter de la balade en péniche à 9 kilomètres/heure proposée par Bruno Podalydès. La Petite Vadrouille pourrait d’ailleurs être le titre générique de toute son œuvre tant il résume la modestie de ce cinéma (ligne claire de la mise en scène, inclination pour la comédie et la légèreté…) et son goût pour les chemins de traverse. A travers l’organisation d’une fausse croisière romantique à destination d’un patron arrogant (cela faisait longtemps qu’on n’avait pas vu Daniel Auteuil aussi bon et convaincant devant la caméra) par une bande de pieds-nickelés sympathiques (la bande à Podalydès : son frère Denis, Sandrine Kiberlain, Isabelle Candelier, Jean-Noël Brouté…), le metteur en scène déploie son univers primesautier, indolent et buissonnier. La Petite Vadrouille est dans la lignée de ses œuvres précédentes. On retrouve des scènes de réunion d’entreprise qui évoquent celles farfelues des Deux Alfred (avec l’excellent illusionniste Yann Frisch qui tenait le rôle de l’horrible patron de la start-up) mais cette petite virée au fil de l’eau évoque surtout Comme un avion et sa forme ouverte et déambulatoire. Ponctué de gags irrésistibles et de moments plus poétiques (la jeune femme sur sa balançoire, le café en-chanté…), le récit nous embarque avec ses personnages décalés et attachants. Il y a surtout chez Podalydès une forme d’anarchie douce (pour reprendre une expression de Gébé) qui s’épanouit ici de manière délicieuse. Il ne s’agit jamais de tenir de grands discours, de sombrer dans le catéchisme militant mais tout simplement de faire un pas de côté, d’être insaisissable comme l’eau qui glisse entre les doigts lorsqu’on tente de la saisir. A ce titre, le rôle que tient Daniel Auteuil témoigne de cet art de la nuance dont fait toujours preuve Podalydès. D’abord dépeint comme un pur représentant de l’entrepreneur richissime, imbuvable tant il estime qu’il peut tout acheter et que tout lui est dû, il se transforme en dindon de la farce, abusé par les joyeux arnaqueurs. Mais petit à petit, au contact de ces escrocs, il s’humanise et finit par retrouver une épaisseur (dans quelle mesure est-il dupe ou joue-t-il la comédie juste pour prolonger le plaisir du voyage ? ) qu’il n’a jamais, au fond, perdue. Comme le spectateur, il abandonne ses habitudes et le rythme de la vie moderne pour goûter au charme d’une épopée nonchalante, du jeu (de séduction) et d’une certaine réappropriation d’un temps libéré du travail. Sous ses allures modestes de comédie populaire (on lui souhaite un gros succès), le film est une nouvelle pépite dans la filmographie de Bruno Podalydès.
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© Unité- Vatos Locos- France 2 Cinéma
Salem (Jean-Bernard Marlin) **
On trouve beaucoup d’échos de Shéhérazade, le premier long-métrage de Marlin, dans Salem : ancrage dans les quartiers populaires de Marseille, des histoires de vengeance, petits voyous en quête de rédemption… On retrouve également ce talent pour diriger les acteurs (criant de vérité et tous excellents) et pour des pauses « intimistes » très justes qui lui permettent de transcender le naturalisme sordide attendu dans ce genre de récit. Salem débute comme une sorte de Roméo et Juliette de banlieue avec Djibril, un jeune homme d’origine comorienne, amoureux de Camilla, une adolescente d’un quartier rival. Enceinte, la jeune femme décide de garder l’enfant et une guerre des clans éclate entre les quartiers. Jean-Bernard Marlin ne mythifie pas la violence des quartiers (l’assassinat d’un collégien fait froid dans le dos) mais reste néanmoins à la hauteur de ses personnages (dans Shéhérazade, il y avait parfois cette tentation de s’inscrire dans le mythe du voyou au grand cœur). La dimension « réaliste » du film est sans doute son point fort. Mais comme certains cinéastes récemment (Thomas Salvador dans La Montagne, Thomas Cailley dans Le Règne animal), Marlin tente de transcender le réalisme par une forme de fantastique qui prend ici les allures d’un syncrétisme religieux. En effet, Djibril possède le pouvoir de guérir les blessés et est persuadé que sa fille est une « élue » venue sur terre pour sauver le monde (comme dans Shéhérazade, la rédemption – plus ou moins évidente- passe par des figures féminines). Lorsque le cinéaste laisse planer l’ambiguïté sur les pouvoirs de Djibril, le film fonctionne plutôt bien et sa dimension « magique » séduit. Lorsqu’il s’inscrit plus directement dans la fable millénariste, il se montre moins convaincant et la fin de son film, après le détour par une sorte de western urbain, me paraît assez ratée avec son mysticisme emphatique. Inégal, Salem témoigne néanmoins d’un vrai talent de cinéaste qu’on suivra encore avec attention.