Visage(s) du cinéma italien : 43- Brunello Rondi
Vicieuse et manuelle (1976) de Brunello Rondi avec Laura Gemser, Annie Belle, Susan Scott, Gabriele Tinti
Ils sont nombreux les artisans du cinéma d’exploitation italien a avoir débuté leur carrière dans un cadre plus « prestigieux ». Songeons à Giuseppe Vari (monteur de Fellini) ou encore Ferdinando Baldi (impliqué dans les tournages de coproductions italo-hollywoodiennes et qui fit tourner Orson Welles). Le cas de Brunello Rondi est assez exemplaire puisqu’il fut un scénariste renommé, collaborant avec Rossellini (Les Onze Fioretti de François d’Assise, Europe 51) et Fellini (La Dolce Vita, Juliette des esprits, 8 ½ pour lequel il obtient le ruban d’argent du meilleur scénario). Lorsqu’il passe à la réalisation en 1962, il commence par adapter un livre de Pasolini (Une vie violente) avant de se diriger vers le cinéma d’exploitation, enchaînant films d’horreur (Le Démon dans la chair, 1963), des gialli (Piu tardi, Claire, piu tardi, 1968 ; Mes mains sur ton corps, 1970) et des films érotiques comme ce Vicieuse et manuelle datant de 1976.
Intitulé Velluto nero en italien et bénéficiant de la présence de Laura Gemser, le film est un surgeon illégitime de la saga à succès Black Emanuelle. L’actrice joue d’ailleurs, à nouveau, un mannequin se prénommant… Emanuelle ! Si le film ne peut pas être directement rattaché à la série, la recette est strictement la même avec son cocktail plus ou moins digeste d’exotisme (le film se déroule en Égypte et permet de contempler les merveilles d’Abou Simbel) et d’érotisme (très soft). Emanuelle débarque donc dans la villa de Crystal, une femme divorcée (Susan Scott) en compagnie de son compagnon photographe (l’incontournable G.Tinti). Crystal, désœuvrée, vit avec sa fille Magda et a pour amant Antonio, un jeune homme qui joue les gourous. Tout ce petit microcosme va être bouleversé par l’arrivée de Laure (Annie Belle), la deuxième fille de Crystal…
Si l’on voulait absolument tirer sur la corde de la référence la plus improbable, on évoquerait Théorème de Pasolini dans la mesure où l’arrivée de la jeune femme, à l’instar du « visiteur » Terence Stamp, provoque l'élément perturbateur et joue comme un révélateur : elle libère Emanuelle de l’emprise du photographe Carlo, elle met à nu l’imposture d’Antonio pour dessiller le regard de sa mère… La scène finale, où Laure et Emanuelle se dépouillent de leurs vêtements pour aller danser cul nu dans le désert, peut même faire songer lointainement à une fameuse scène de Théorème. Mais la comparaison s’arrête là. Absolument pas maîtrisé au niveau de la narration et de la psychologie des personnages (aucune scène ne fonctionne à ce niveau-là), le film se révèle vite être un monument d’ennui.
Les personnages sont idiots et souvent odieux, avec une palme pour ce photographe macho, violent et particulièrement immonde, notamment lorsqu’il prend des clichés de son modèle au milieu de cadavres avant de la violer sans vergogne. Mais que cette description ne vous trompe pas : le film n’a pas (même pas !) cette dimension déviante et crapoteuse qui peut séduire dans le cinéma d’exploitation italien. L’érotisme est ici désespérément sage (on est loin de la flamboyance joyeuse d’un Tinto Brass ou des ébats torrides filmés par Joe d’Amato dans ses Black Emanuelle) et se révèle aussi excitant que les mornes téléfilms diffusés autrefois le dimanche soir sur M6.
Prenons par exemple ce moment où Antonio envoûte Emanuelle qui se retrouve en transes et déchire sa robe. A un moment, la belle s’apprête à sacrifier un agneau mais Rondi est incapable de donner la moindre folie à ce passage (songeons à titre de comparaison à une séquence hallucinante de La Montagne du dieu cannibale de Martino). Que le cinéaste nous dispense du « snuff animal », nous lui en savons évidemment gré. Mais qu’il ne soit même pas capable de mettre un peu de faux sang sur le menton de son actrice pour laisser entendre qu’elle en a bu, c’est impardonnable !
Tout est à l’avenant : timoré et mou. Reste la beauté des quatre actrices (nous n’avons pas cité la méconnue Ziggy Zanger qui joue le rôle de Magda, qu’on retrouvera dans Voluptueuse Laura de d’Amato), filmées sans véritable désir, et quelques cartes postales pas trop mal cadrées.
C’est peu pour un film très oubliable qui permet de retrouver à son générique d’autres artisans du cinéma d’exploitation italien : Ferdinando Baldi, dont nous parlions en introduction, au scénario (il ne s’est pas cassé la tête !) et le redoutable Bruno Mattei au montage.
Vous savez tout mais si vous en voulez plus, je vous renvoie à l’excellent n°15 du fanzine Vidéotopsie qui consacre un copieux dossier à l’actrice Annie Belle et à ce film.