Visage(s) du cinéma italien : 47- Dino Risi
Le Sexe fou (1973) de Dino Risi avec Laura Antonelli, Giancarlo Giannini
Quittons provisoirement l’univers du cinéma « bis » (nous y reviendrons très rapidement !) pour rendre hommage à un grand maître du cinéma italien : Dino Risi. Nous ne ferons pas l’injure à nos lecteurs de présenter l’un des plus célèbres réalisateurs de comédies à l’italienne, qu’il s’agisse du Fanfaron ou des Monstres, mais capable également de signer quelques pépites plus dramatiques (Parfum de femme, Fantôme d’amour…). Néanmoins, il convient de noter que les frontières entre le cinéma traditionnel et celui que l’on désigne sous l’appellation « bis » sont moins étanches que l’on veut bien le dire. A sa manière, Le Sexe fou l’illustre puisqu’il annonce la vague des « comédies sexy » qui déferlera sur l’Italie à partir du milieu des années 70 et Risi, par exemple, fera appel à Edwige Fenech, la diva du genre, dans son Je suis photogénique en 1980.
Pour l’heure, Risi s’appuie sur trois éléments pour bâtir son aire de jeu. Le premier est un genre toujours très en vogue en Italie depuis les années 50 et auquel le cinéaste a offert ses plus belles réussites (Les Monstres) : le film à sketches. Le deuxième tient à l’époque et à la libération des mœurs puisque tous ces segments tournent autour de la question du sexe, un peu comme si Risi accordait son esprit corrosif et grinçant avec l’humour du Woody Allen de Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe sans jamais oser le demander. Enfin, le troisième élément primordial : le metteur en scène offre un nouvel écrin à la splendeur de Laura Antonelli, au sommet de sa gloire après Ma femme est un violon de Pasquale Festa Campanile et Malizia (qui sort la même année) de Salvatore Samperi. Il est d’ailleurs notable que le seul sketch où elle n’apparaît pas, Un amour difficile, est sans doute le plus laborieux de l’ensemble (malheureusement, c’est aussi le plus long !) puisque Risi tente de nous faire croire que le héros naïf de son récit (Giancarlo Giannini) peut s’enticher d’un travesti en pensant qu’il s’agit d’une femme avant de réaliser que ledit travesti est son frère !
Pour le reste, force est de constater qu’il s’agit d’un film mineur de Risi et que, comme la plupart des films à sketches, il est forcément inégal, certains segments s’avérant plutôt lourdingues dans la paillardise (Deux cœurs et une bicoque qui se complaît dans la description de personnages « affreux, sales et méchants ») tandis que d’autres sont assez enlevés et amusants (Lune de miel avec son héros macho, impuissant au lit et qui ne retrouve ses moyens pour les transports amoureux que dans… les moyens de transport !) voire même émouvants (j’ai une petite tendresse pour Reviens mon lapin, version dégradée de Vertigo où un homme demande à une prostituée de se déguiser comme son ex petite amie).
Par ailleurs, Risi fait de Laura Antonelli l’objet de tous les fantasmes et la comédienne prouve son grand talent en endossant de nombreux atours. Elle s’avère aussi à l’aise en grande bourgeoise aguicheuse (Madame, il est huit heures !, L’Invité…) qu’en mère de famille nombreuse prolétaire (Deux cœurs dans une bicoque), en prostituée (Reviens mon lapin) qu’en bonne sœur sexy (Travailleurs italiens à l’étranger), en jeune mariée (Lune de miel) qu’en veuve vengeresse (La Vendetta).
Si la comédie l’emporte avantageusement sur l’érotisme (très peu poussé), la comédienne est d’une telle beauté, d’une telle sensualité que sa présence irradie chaque sketch, même les plus poussifs. Sans éviter totalement une certaine vulgarité, Risi parvient à livrer un regard assez cinglant sur les mœurs de ses contemporains, raillant aussi bien les riches en quête de sensations fortes que les pauvres, raillant chez les mâles le côté primate de leurs désirs et fantaisies : le macho impuissant de Lune de miel, le mari gérontophile de Il n’est jamais trop tard, l’affreux mafieux de La Vendetta…
Si Dino Risi se situe assurément du côté des femmes, on se dit également que quelques sketches passeraient très mal aujourd’hui, à l’image du premier (Madame, il est huit heures !) où le domestique abuse de sa maîtresse le matin en profitant qu’elle a le sommeil lourd. Mais comme il n’y a aucune complaisance dans la manière de filmer ce viol et qu’il s’agit, dans le cadre d’une fiction, de développer des gags (certes pas très fins mais la manière dont cet homme est obnubilé par sa patronne donne lieu à des situations assez drôles), on pardonne cette légèreté venue d’une autre époque.
Le Sexe fou, en dépit de ses limites, capte à sa manière la teneur hautement érogène des années 70 et une certaine liberté omniprésente à cette époque (du moins, en apparence). Et cette immersion dans des temps qu’on n’a finalement pas connus a des allures de bain de jouvence et n’est pas sans charme…