L'Amour primitif (1964) de Luigi Scattini avec Jayne Mansfied, Franco Franchi, Ciccio Ingrassia

Visage(s) du cinéma italien : 56- Luigi Scattini

Il existe au moins trois bonnes raisons de regarder cet improbable Amour primitif. La première, c'est qu'il s'inscrit de plain-pied dans la déferlante de « mondo » qui va naître dans le sillage du film à succès de Jacopetti, Cavara et Prosperi Mondo cane. On le rappelle rapidement pour les lecteurs distraits : le « mondo » est une forme de pseudo-documentaire qui cherche avant tout à racoler le chaland en lui présentant les aspects les plus choquants de coutumes lointaines ou supposées telles. Plus ce filon - très représentatif des méthodes du cinéma d'exploitation- va se développer au cours des années, plus il va devenir violent et déviant. En 1964, il reste encore (relativement) bon enfant mais coche déjà toutes les cases du genre. L'alibi documentaire et ethnologique permet, par exemple, de filmer des corps dénudés là où le cinéma « traditionnel » aurait certainement été censuré. On laissera le soin aux spécialistes de gloser sur le racisme sous-jacent de ces pratiques dans la mesure où ces nus, qualifiés de « naturels », étaient considérés comme dénués d'érotisme et donc davantage tolérés1. Scattini n'en abuse pas mais nous offrira néanmoins des visions plutôt sympathiques de belles indigènes (africaines ou asiatiques) les seins à l'air. Côté « choc », on commence également à voir poindre une des caractéristiques les plus crapoteuses du « mondo » : la mort en direct d'animaux. Les scènes de « snuff animal » qui choquent désormais énormément dans Cannibal Holocaust de Deodato viennent directement du « mondo » qui mutera à la fin des années 70 vers les films de cannibales. Dans L'Amour primitif, même si un cochon et un serpent passent un mauvais quart d'heure, on est relativement épargné avec des scènes a peine esquissées ou très fugaces (la chasse aux requins et à l'alligator). Dernier élément primordial : le côté bidonné du documentaire. Si certains passages semblent venir de stock-shots divers, alliant exotisme et carte postale, d'autres sont visiblement totalement mis en scène. Je ne suis pas un spécialiste de la question mais je n'ai jamais entendu parler de la lapidation des femmes adultères en Chine avec... des œufs. Et je ne parle pas du jeune homme prétendument mort enterré sur une belle plage en Océanie ! Par ailleurs, on croit reconnaître la même actrice dans certaines situations censées se dérouler à des endroits différents du monde.

Avouons-le : cet aspect « mondo » (qui occupe quand même 75% du métrage) est le plus pénible, Scattini se contentant d'aligner paresseusement des séquences « documentaires » sans grand intérêt. En revanche, ces séquences sont interrompues ou commentées par Franco et Ciccio, assurément le duo comique le plus ringard de toute l'histoire du cinéma (et pour cette raison, ils bénéficieront toujours de notre tendresse). Tentant de zieuter des morceaux de ces films projetés, ils accumulent les grimaces, les roulements d'yeux et les gags miteux.

Mais pour bien comprendre leur effervescence, il faut revenir au début et évoquer le fil directeur de ce film (je réalise que cette chronique est écrite en dépit du bon sens mais ça correspond à la fois à l'esprit de l’œuvre - « un collage involontairement dadaïste » [Bouyxou]- et je voulais garder la meilleure raison de la regarder pour la fin – vous me suivez?-). Le principal intérêt d'Amour primitif, c'est évidemment la présence de Jayne Mansfield dont la carrière amorçait alors son déclin. La divine blonde incarne ici une improbable anthropologue qui vient présenter à un docte professeur ses films ethnologiques. Lesdites bandes constitueront la grosse partie « mondo » du métrage et c'est la présence de l'actrice, toujours légèrement vêtue ou affublée de tenues saillantes, qui va porter les hormones de nos deux pithécanthropes (Franco et Ciccio) à ébullition. Dans des séquences particulièrement débiles (et donc corollairement assez drôles), Franco et Ciccio s'imaginent dans la peau des indigènes des contrées lointaines que nous venons de découvrir et voient la belle Jayne effectuer des danses du ventre choucardes.

Le summum est atteint lors de la dernière scène du film (même si ces révélations n'ont pas une grande conséquence, évitez de me lire si vous voulez découvrir l’œuvre), où Jane et le professeur méditent sur l'amour chez les « primitifs » (j'avais oublié – où avais-je la tête?- de préciser que les séquences « documentaires » traitent essentiellement des rites nuptiaux à travers le monde). Tandis que le professeur loue la civilisation et la capacité de l'homme occidental à se contrôler, la belle anthropologue lui propose de se livrer à une expérience. Tandis que le respectable universitaire se cache dans un placard, elle se livre à un délicieux strip-tease face à Franco et Ciccio qui se livrent alors à des simagrées simiesques pas piquées des hannetons (il faut le voir pour le croire!). Au terme de son numéro, elle ouvre le placard et découvre que le professeur s'est transformé en... invraisemblable lycanthrope qui la poursuit de ses assiduités. Ce passage assez surréaliste rend le film, assez mauvais dans l'ensemble, plutôt sympathique. Et donne envie de voir tous les films de Jayne Mansfield (Ah, Tashlin!) et de se pencher avec plus de ténacité sur l’œuvre de Franco et Ciccio (n'oublions pas qu'ils ont tourné sous la direction de Fulci et qu'ils croisent dans Deux bidasses et le général, réalisé également par Scattini, le grand Buster Keaton!)

1Jean-Pierre Bouyxou souligne que des gens, pourtant très marqués à gauche, comme Paul-Louis Thirard pouvaient écrire avec un certain dédain: « On se demande ce qu'a d'érotique telle photo d'Africaine aux seins nus... (Positif n°21, février 1957)

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