Visage(s) du cinéma italien : 59- Bruno Corbucci
Un flic très spécial (1976) de Bruno Corbucci avec Tomas Milian, Lilli Carati
Pendant que défile le générique, la première séquence du film nous met immédiatement dans le bain. A Rome, une bande de malfrats commet divers larcins : cambriolages, vols à la tire, vols de voiture… Nous sommes dans l’univers du « poliziottesco », ce néo-polar italien auscultant les soubresauts de la société italienne, notamment cette flambée de violence qui accompagna les « années de plomb ». Soudain, une sonnerie retentit. Les sirènes de la police ? Fausse piste puisque l’un des brigands se tourne vers son compagnon pour lui reprocher… d’avoir volé des réveils ! La réplique désamorce toute la séquence et annonce d’emblée la dimension humoristique de l’œuvre. A la manière d’Enzo Barboni qui offre au western un nouveau visage comique avec On l’appelle Trinita, Bruno Corbucci illustre une fois de plus la manière dont les cinéastes italiens ont exploité les filons jusqu'au bout, quitte à en proposer des versions parodiques et/ou dégradées pour leur redonner un peu de vigueur.
Un flic très spécial (Squadra antifurto) est le deuxième film de Corbucci mettant en scène l’inspecteur Nico Giraldi (Tomas Milian), histrion mi-flic, mi-voyou qui sera le héros de onze longs métrages. Il apparaît la même année (1976) dans Flics en jeans (Squadra antiscippo) et prendra sa retraite en 1985 avec Pas folle, le flic (Delitto al Blue Gay).
Frère cadet de Sergio Corbucci (Le Grand Silence, Django…), Bruno Corbucci réalisera tous ces films, intercalant çà et là dans sa filmographie quelques polissonneries que nous aimerions bien découvrir (Messaline, impératrice et putain, La Lycéenne et les fantômes…). On remarquera qu’à l’instar de son frère aîné, mais de manière encore plus prononcée, Bruno fera preuve sans arrêt d’une inclination prononcée pour la comédie, faisant même tourner Franco et Ciccio (Deux Corniauds dans la brousse), livrant quelques pastiches qui doivent valoir leur pesant de cacahuètes (comment ne pas avoir envie de découvrir son western en découvrant le titre dont il a été affublé en français : Les rangers défient les karatékas ?) avant de finir par offrir la vedette à Bud Spencer (Escroc, macho et gigolo, Les Superflics de Miami, Aladdin).
Si la comédie est, bien évidemment, un genre tout à fait noble, il peut s’avérer périlleux de la conjuguer avec le genre policier. L’effet gag risque, en effet, de désamorcer aussi bien la tension attendue dans ce type de récit que la crédibilité de l’action. De plus, il faut bien reconnaître que Corbucci ne vise pas la légèreté : les cambrioleurs passent par une fenêtre mais le premier appuie malencontreusement sur une chasse d’eau tout en mettant un pied dans la cuvette des toilettes, l’inspecteur force un malfaiteur à avaler l’étron laissé de manière malveillante dans l’appartement qu’il avait cambriolé sans parler des proverbiales tartes à la phalange que l’on ne sert pas encore aussi généreusement que chez Terence Hill et Bud Spencer mais qui font quand même quelques apparitions. Je passe également sur le langage fleuri utilisé par Giraldi mais il pourra rebuter plus d’un palais délicat.
Malgré tous ces écueils, Un flic très spécial fonctionne quand même. D’abord grâce au charisme que Tomas Milian parvient à imprimer à son personnage, relecture encore plus fantasque du prolo exubérant Poubelle qu’il incarnait chez Lenzi et Massi. Toujours vêtu de tenues extravagantes, notamment d’une incroyable collection de salopettes multicolores (je confesse une préférence pour la jaune pétante !) et de couvre-chefs improbables, il électrise le récit en incarnant ce flic désinvolte, rigolard, astucieux, un poil obsédé et téméraire (ses cascades en moto, qui le font débarquer au milieu d’un salon, n’ont rien à envier à celles de Tom Cruise dans Mission : impossible). Giraldi a pour modèle Al Pacino dans Serpico (il possède l’affiche du film et a donné ce nom à sa souris blanche) même si ses aventures sont beaucoup plus parodiques que celles vécues par le héros de Sidney Lumet.
Ensuite, même s’il assaisonne son récit d’un humour parfois épais et gras, Corbucci garde néanmoins en ligne de mire son intrigue policière, avec un cambriolage de villa et un riche américain qui dissimule de lourds secrets. Grâce à une mise en scène enlevée et efficace, il parvient à trouver un équilibre entre le rire, l’action et même une certaine gravité plus prégnante dans la deuxième partie du film, lorsque la route de Giraldi se trouve semée de cadavres.
Nous n’irons pas jusqu’à prétendre que Un flic très spécial est un grand film mais l’ensemble est vraiment plaisant : un scénario classique mais bien mené, un héros charismatique et drôle, une approche humoristique qui ne plombe pas la dimension polardeuse… Seul regret : Lilli Carati, dont le nom apparaît en deuxième au générique, ne tient, au bout du compte, qu’un tout petit rôle anecdotique.
J’ignore si Corbucci est parvenu à maintenir cet équilibre « poliziottesco/humour potache » dans tous les épisodes de sa saga mais ce deuxième volet donne envie de se pencher sur sa fructueuse collaboration avec Tomas Milian.