Visage(s) du cinéma italien : 60- Alfonso Brescia
Un joli corps qu’il faut tuer (1970) d’Alfonso Brescia avec George Ardisson, Françoise Prévost, Orchidea De Santis
Aborder la carrière d’Alfonso Brescia, cinéaste généralement dissimulé sous le pseudonyme d’Al Bradley, c’est prendre le risque de répéter ce que l’on a déjà suffisamment souligné quant à la « politique du filon » chère aux artisans italiens. Faut-il se résigner à transformer ce carnet de voyage au cœur du cinéma italien en une morne routine ? Pourtant, il semble difficile de passer outre ces considérations tant Brescia incarne, lui aussi, ce côté mercenaire des metteurs en scène populaires transalpins, prompts à s’inscrire dans tous les genres en vogue.
Ainsi quand il débute au milieu des années 60, Alfonso Brescia tourne des péplums (La Révolte des prétoriens, Le Gladiateur magnifique...) mais aussi des westerns (Le colt est ma loi, Un fusil pour deux colts). Par la suite, il dirigera des films d’aventures (deux titres inspirés de Croc-blanc de London), des comédies érotiques (Les Amazones font l’amour et la guerre), de la science-fiction (La Guerre des robots), des « poliziotteschi » (Napoli…la camorra sfida, la citta risponde), etc.
Dans la plus célèbre des encyclopédies en ligne, Un joli corps qu’il faut tuer est désigné comme un « giallo », ce qui me paraît une réputation pour le moins usurpée même si on peut, à la rigueur, y retrouver une machination (qu’on voit venir de loin) assez caractéristique du genre. Sur le papier (car je n’ai pas vu le film), Le Manoir aux filles du même Brescia semble davantage relever de ce courant.
Ici, pas de tueur ganté ni de crimes en série. Seulement un homme marié, secrétaire d’état à l’ambassade, qui ne supporte plus une épouse aussi autoritaire que riche. Dans ses rêves les plus fous, il passe en revue tous les moyens de l’assassiner : l’écraser avec sa voiture, la jeter d’un pont… Jusqu’au jour où Clive découvre que Diana le trompe avec son ami et médecin Franz Adler et que cette liaison compromet sa carrière de diplomate. Il met alors en place un plan pour liquider réellement sa femme…
Le film est scindé en deux parties. La première navigue entre la satire des mœurs bourgeoises et une sorte d’étude psychologique puisque à l’instar du Buñuel de La Vie criminelle d’Archibald de la Cruz (toutes proportions gardées !), Brescia nous plonge dans les fantasmes d’un homme désireux d’anéantir une épouse castratrice. Outre les différents crimes auxquels il songe, on le verra également imaginer sa femme ligotée, contrainte à avaler les vers qu’il destine généralement à ses poissons. Face à lui, l’excellente Françoise Prévost (que l’on a vu dans Le Signe du lion de Rohmer, Paris nous appartient de Rivette et qui fut l’une des fidèles de Pierre Kast) incarne une femme d’affaire tyrannique et obsédée par les horaires.
La deuxième partie, se déroulant à Tanger, relève davantage du thriller avec un homme qui tente de se débarrasser d’un cadavre dissimulé dans des valises, avec tous les rebondissements que l’on peut supposer : traces suspectes qui s’écoulent des paquets, échanges de valises, policiers et maîtres chanteurs à l’affût…
Tout cela est plutôt bien tourné. Comme la plupart des (bons) artisans du cinéma bis italien, Brescia possède une véritable savoir-faire qui se devine notamment lors de scènes de filatures ou encore dans ces petits flashs mentaux qui dynamisent le cœur des scènes. Malheureusement, le film est beaucoup trop invraisemblable pour convaincre réellement. Les rebondissements sont beaucoup trop capillotractés pour que le spectateur adhère à ce récit. Comment croire qu’après avoir commandité un meurtre à l’amant de sa femme (qu’il a fait chanter), Clive récupère le cadavre et se rende à Tanger pour s’en débarrasser ? (il n’y avait pas un moyen plus simple ?). On frise presque le ridicule lorsque Clive, passionné par les poissons, rencontre une belle mannequin (Orchidea De Santis) qui partage son inclination pour ces vertébrés aquatiques, ce qui nous vaut une conversation romantique au restaurant où le couple évoque, les yeux enamourés, les moyens de reproduction chez certaines espèces et taille le bout de gras autour des alevins et autres protozoaires !
Quant à la machination, sans trop en dévoiler, on la voit venir à des kilomètres et on a alors l’impression que le film ronronne tranquillement pour appliquer son programme.
Au bout du compte, Un joli corps qu’il faut tuer n’est pas nul mais sans les piments inhérents à ce genre de cinéma (ni érotisme, ni violence, ni déviances), il paraît un peu terne et appliqué. Le spectateur ne s’ennuie pas vraiment mais il suit sans grande passion un récit dont les enjeux sont assez faibles et qu’il aura oublié dans très peu de temps…