Presence (2024) de Steven Soderbergh avec Lucy Liu, Chris Sullivan, Julia Fox

© the spectral spirit company

© the spectral spirit company

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Soderbergh reste toujours un cinéaste insaisissable. Alternant à une époque les grosses productions avec des vedettes (la saga Ocean’s Eleven) et de petits films personnels (Bubble, The Girlfriend Experience…), des sujets internationaux (Che) et les récits locaux (Magic Mike), il ne s’est jamais départi depuis de son éclectisme proverbial.

Presence porte en son sein ce caractère hybride. Disposant d’un casting mêlant comédiens chevronnés (Lucy Liu, Chris Sullivan) et nouveaux venus (les enfants du couple), Soderbergh investit un courant très fécond du cinéma fantastique : celui de la maison hantée. Mais aux débordements spectaculaires qu’autorise parfois le genre, il préfère une remarquable économie de moyens : huis-clos, peu de personnages et un récit ténu d’une heure et vingt minutes.

De la même manière, son approche mêle une certaine originalité dans la mise en scène et d’autres éléments plus conventionnels. La force de Presence tient d’abord à son point de vue. Plutôt que d’adopter celui des personnages, il choisit d’épouser le regard du fantôme, d’une mystérieuse présence qui plane au cœur du foyer, surtout dans la chambre de Chloe, la fille du couple. A l’efficacité d’un point de vue subjectif qui permet l’identification du spectateur qui ignore, comme le personnage, où se situe la menace, il substitue une sorte de vision flottante extérieure, un peu comme une caméra de surveillance. L’œil de ladite caméra correspond parfaitement à l’œil du spectateur, invité à déambuler au sein de la demeure, partagé dans ses sensations entre une impression menaçante que suggère ce regard intrusif et l’idée que cette présence peut aussi être protectrice.

Conserver un point de vue unique et cohérent demeure souvent une gageure (qu’on se souvienne du médiocre The Visit de Shyamalan et des moments où l’œil de la caméra – un faux documentaire- ne se justifie plus daucune façon) et Soderbergh réussit plutôt son pari. Plus fort, il arrive à créer une forme d’inquiétude alors que son point de vue désamorce toute forme de suspense (sauf lorsqu’un nouveau danger finit par apparaître). Mais par la seule force d’un plan qui dure ou cette manière de ponctuer ses séquences par des écrans noirs, il parvient à susciter un certain trouble.

Peut-être parce que cette histoire de fantôme n’est qu’un prétexte pour ausculter le malaise qui irrigue une famille de plus en plus dysfonctionnelle. De ce côté, Soderbergh se montre moins original avec cette mère autoritaire (Lucy Liu) qui a reporté toute son affection sur son fils Tyler alors qu’elle néglige sa fille. C’est donc avec un père assez mal à l’aise et dépassé par les événements que Chloe communique le plus. Ces rapports œdipiens n’ont rien d’original mais Soderbergh parvient néanmoins à les rendre plus intéressants en ouvrant quelques béances : pourquoi Rebekah efface-t-elle compulsivement certains mails ? Quelle est cette « affaire » d’escroquerie qui préoccupe Chris ? Le cinéaste laisse volontairement certains points de suspension et échappe (pas tout le temps !) au risque de l’exercice de style qui le guette constamment.

On sent chez lui un désir de marcher sur les pas de certains films de fantômes japonais (de Ring aux films de Kiyoshi Kurosawa auxquels on songe parfois). Cette dimension spectrale et mélancolique fonctionne plutôt bien même si on peut regretter le côté parfois un peu décharné de l’ensemble, comme si Soderbergh se montrait un peu trop timoré pour opter soit pour la terreur pure, soit pour un vrai drame autour de personnages plus solidement incarnés (Tyler, le frère aîné, manque un peu de substance, par exemple).

Reste alors un film original qui prouve une fois de plus que sans vraiment enthousiasmer, Soderbergh ne déçoit jamais (ou presque) non plus.

Retour à l'accueil