Visage(s) du cinéma italien : 65- Nello Rossati
La Gatta in calore (1972) de Nello Rossati avec Eva Czemerys, Silvano Tranquilli
Une fois de plus, il faut commencer par tordre le cou à une fausse information distillée par Wikipédia : La Gatta in calore n’est en aucun cas un giallo. Même si le film débute par la découverte d’un cadavre, il n’y aura ni enquête, ni policiers, ni tueur maniaque, ni crimes supplémentaires. Que les lecteurs émoustillés par le titre du film (« la chatte en chaleur ») se ravisent également : le film de Rossati n’est pas non plus un film érotique. Les quelques (rares) moments où Eva Czemerys dévoile sa poitrine sont dénués de complaisance (ce qui est suffisamment rare dans le cinéma populaire italien pour être souligné) et si le spectateur peut se réjouir de ces instants furtifs (pourquoi s’en priver, ventrebleu ?), ils n’ont manifestement pas été conçus pour lui permettre de se rincer l’œil. Ces scènes s’intègrent parfaitement au récit et ne donnent jamais l’impression d’être gratuites.
Si le film n’a rien d’un giallo, disais-je, on peut néanmoins reconnaître qu’il s’épanouit sur le même terreau, à savoir celui d’une grande bourgeoisie qui s’ennuie et qui a perdu ses idéaux.
Le cadavre que retrouve Antonio (Silvano Tranquilli) dans son jardin est celui de son voisin Massimo, un peintre excentrique. D’emblée, Anna – l’épouse de l’ingénieur, incarnée par Eva Czemerys- avoue qu’elle est l’auteur du forfait. Elle confie dans la foulée à son mari qu’elle aimait Massimo. Rossati, par une habile construction en flash-backs, va nous faire revivre l’histoire de cette liaison adultère et son aboutissement fatal. La Gatta in calore relève du drame passionnel et de l’étude de caractères.
Ce qui a poussé Anna dans les bras de son voisin, c’est l’ennui et le désœuvrement. Dès leurs premières rencontres, Antonio lui a confié qu’il était une « bête de somme ». Son travail lui prend tout son temps et l’éloigne souvent du foyer. Au point que le soir de leur anniversaire de mariage, qu’Anna a préparé avec un soin tout particulier, il s’endort comme une masse avant même qu’elle l’ait rejoint au lit.
Seule à la maison, Anna a le loisir de contempler les frasques de son voisin : soirées alcoolisées, défilé de femmes interchangeables, cris au milieu de la nuit, jardin saccagé… Le rapprochement aura évidemment lieu, permettant à Anna d’assouvir ses désirs et de pallier l’absence de son mari…
Rien d’original dans ce scénario mais Rossati parvient à peindre cet univers avec une certaine finesse. L’ingénieur Antonio ne vit que pour son travail et pour les signes extérieurs de richesse qu’il lui procure : grosse voiture aux multiples gadgets électroniques (en 1972, ce n’était pas commun), portail automatique, élégante demeure conçue comme un écrin pour une épouse racée. Mais derrière tout cela, comme dans les gialli d’Ercoli, il n’y a que vide, ennui et un sentiment de déréliction comme le souligne Alice Laguarda dans son remarquable essai sur le genrei. Ce vide, il happe Anna, personnage à la fois soumis à son statut social et marital (quand elle constate que son époux refuse d’appeler la police et de la dénoncer, elle lui fait remarquer qu’il craint avant tout pour sa réputation et sa carrière) et qui se « libère » en cédant à la tentation de l’adultère.
Mais là où le film fait preuve d’une certaine finesse, c’est lorsqu’il montre que l’amant est loin de constituer une alternative rêvée. Si Antonio considère son travail comme une « drogue », Massimo use de son côté de réelles substances illicites. Que ce soit par le travail ou les paradis artificiels, les individus tentent de trouver un substitut à leur vide existentiel. Dans sa quête effrénée des plaisirs, Massimo nie également la personne d’Anna, au point de la réduire à une « chatte en chaleur » et de l’offrir, un soir de beuverie, à deux de ses compères qui manquent de peu de la violer.
L’habileté de Rossati consiste à ne pas jouer les moralisateurs (punir son héroïne qui a succombé à l’adultère) mais de montrer les deux faces opposées d’un même néant : pile, le conformisme bourgeois et son paradis consumériste, face, le conformisme d’un anticonformisme hédoniste sans véritable amour.
Tout n’est pas parfait dans La Gatta in calore et on pourra sourire devant quelques intermèdes sentimentaux romantiques nappés de musique d’ascenseur. Mais le film s’avère aussi bien construit que bien photographié (par Aristide Massaccesi, aka Joe d’Amatoii) et la crainte d’assister à un énième film bis racoleur et mal fichu s’estompe rapidement pour laisser apparaître ce qui se révèle être une bonne surprise.
i L’Ultima maniera : le giallo, un cinéma des passions. Rouge profond, 2021.
ii Pour la petite histoire, un autre nom célèbre du bis italien se trouve au générique du film, celui de Lamberto Bava, assistant réalisateur ici.