Une histoire du cinéma français : 1980-1989 (2025) de Denis Zorgniotti et Ulysse Lledo (Éditions Lettmotif, 2025)

Etat des lieux (le cinéma français des années 80)

A l'heure d'Internet et des encyclopédies en ligne collaboratives, il faut un certain aplomb pour envisager un projet encyclopédique comme celui qu'a entamé Denis Zorgnotti, avec la collaboration de Philippe Pallin dans un premier temps (malheureusement décédé depuis) puis d'Ulysse Lledo.

L'histoire du cinéma français que nous proposent les auteurs repose sur des principes immuables et relativement simples : un découpage par année avec des coups de projecteur sur une poignée de films jugés importants (3 à 6), un panorama plus large avec des notules sur une dizaine de titres et la citation, « en accéléré » des principales sorties de l'année. Après cette recension des œuvres, les auteurs s'attardent sur une actrice (Jane Birkin, Nathalie Baye, Sandrine Bonnaire...), un acteur (Michel Serrault, Gérard Depardieu, Michel Blanc...) et un réalisateur (Jacques Doillon, Claude Miller, Maurice Pialat...) avant de terminer leur tour d'horizon par un dossier thématique. Pour ces années 80, des coups de projecteur seront dirigés vers la critique cinématographique (l'affaire L'As des as/Une chambre en ville oblige), la troupe du Splendid ou encore l'esthétique publicitaire...

Si j'avais quelques réserves en découvrant les premiers volumes, trouvant que ce découpage très rigide occasionnait un certain nombre de répétitions, il semble que le projet ait désormais atteint son rythme de croisière et qu'il gagne en ampleur à mesure qu'il progresse. Car il ne faut pas oublier que c'est d'abord un outil, certes non exhaustif et subjectif, mais qui offre un panorama assez riche de l'histoire du cinéma français (on sait qu'il y a quasiment autant d'histoires que d'historiens dans un cas pareil).

Denis Zorgnotti tente un numéro d'équilibriste relativement compliqué en rendant hommage à un cinéma grand public qui a fait les années 80 (Claude Berri, Jean-Jacques Annaud, Alain Corneau...) tout en n'oubliant pas le cinéma d'auteur, qu'il s'agisse des grands « anciens » de la Nouvelle vague (Godard, Truffaut, Rohmer, Resnais...) mais aussi de ceux qui ont débuté dans les années 70 et qui imposent leurs styles dans les années 80 (Téchiné, Doillon...). De la même manière, certains titres reconnus ne sont pas traités sous la forme de critiques mais apparaissent dans les dossiers thématiques ou les focus sur les acteurs/actrices. Ainsi, Le Grand Bleu sera davantage traité dans le dossier sur « l'esthétique pub » tandis que Tenue de soirée de Blier sera abordé dans le dossier « homosexualité » et la notice consacrée à Michel Blanc.

Évidemment, le plaisir que l'on peut prendre à lire cette histoire du cinéma tient aussi à la contestation que chacun fera des choix opérés par les auteurs. Certains, comme moi, grinceront peut-être des dents en constatant que Le Dernier Combat de Besson obtient une grosse notule en 1983 alors que Pauline à la plage de Rohmer ou L'Argent de Bresson sont relégués dans les marges. Ou encore que certains réalisateurs comme Tavernier ou Berri bénéficient d'une surexposition (pas illégitime d'ailleurs, puisqu'ils ont connu de gros succès lors de cette décennie) tandis que d'autres sont plus négligés (Garrel) ou auraient mérité davantage de place. Mais c'est la règle du jeu de ce type d'ouvrage et il n'est, bien entendu, pas question d'en faire grief à Denis Zorgniotti et son acolyte.

D'autant plus que l'ouvrage couvre avec pertinence cette décennie 80 dont on garde sans doute, moi le premier, une image un peu faussée (le consumérisme à outrance, l'émergence de figures répugnantes comme Bernard Tapie, le fric, la pub, le stalinien Montand-la-joie venant faire l'apologie de la libre-entreprise en prime-time...)

 

« Les années 80 sont une décennie en trompe-l’œil, une époque désormais lointaine dont certaines images emblématiques ont figé une appréciation, si ce n'est fausse, largement réductrice. »

 

Les parcours thématiques permettent de remettre un peu cette vision d'une décennie clinquante et clipeuse au cinéma (le style Beineix et Besson), notamment en montrant l'évolution de la figure de l'immigré ou l'émergence d'un cinéma de réalisatrices (le sympathique Trois hommes et un couffin de Serreau fut le plus gros succès français de la décennie). La question de l'adolescence au cinéma lors de cette décennie permet de revenir sur des thématiques brûlantes sans sombrer dans le révisionnisme ou le tribunal moralisateur. Même chose lorsque Denis Zargnotti consacre un long texte à Gérard Depardieu, acteur incontournable de la décennie. Il s'agit de garder ici une certaine mesure en ne dissimulant pas les affaires récentes sans pour autant jouer les procureurs et oublier la place qu'a pu tenir le comédien.

 

Se dégage alors de ce parcours une vision contrastée d'une décennie où le star-system attire encore les spectateurs dans les salles mais où l'on assiste à un divorce entre la critique (plus vraiment prescriptive) et le public, où la télévision prend une place de plus en plus prépondérante (création de Canal + avant La 5 et M6) et où l'esthétique publicitaire cohabite avec le réalisme âpre d'un Pialat et la violence psychologique d'un Doillon.

La décennie s'achève avec la célébration en grandes pompes du bicentenaire de la Révolution tandis qu'Eric Rochant montre dans Un monde sans pitié une société en prise avec la crise (aussi bien économique que sanitaire puisque apparaît le sida), la fin des utopies et un désenchantement qui ne cessera de s'accentuer dans les années 90.

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