Pour en finir avec le genre
Un genre à soi (2025) de Judith Beauvallet, Axel Cadieux et Quentin Mével (PlayList Society, 2025)
Je suis embarrassé de vous parler de ce livre aujourd'hui car j'avoue que je l'ai trouvé assez anecdotique mais que je n'ai aucune envie de m'acharner sur une petite maison d'édition qui fait du bon travail et qui mérite toute notre considération. D'ailleurs, dans une optique assez similaire, la maison avait publié un recueil d'entretiens autour de la comédie française actuelle tout à fait satisfaisant (Des gens drôles).
Mais dans le cas présent, je suis d'emblée gêné par la dénomination « films de genre » qui, à mon avis, n'a aucun sens. J'ai bien compris que dans l'esprit de ceux qui l'emploient, il s'agit de désigner les films relevant de l'horreur ou du fantastique (voire du thriller) mais cette convention me semble fallacieuse. En effet, le « cinéma de genre » n'existe que dans un contexte de production bien précis : celui d'Hollywood à la période classique où les grands studios ont des départements chargés de produire des « films de genre ». Ce furent les films fantastiques de la Universal, les films noirs de la Warner, les comédies musicales de la MGM... On retrouvera un peu ça à Cinecittà et dans la politique des « filons » mise en place sur le modèle américain. Mais en France, il n'y a jamais eu de cinéma de genre. Entendons-nous bien : cela ne signifie pas qu'il n'existe aucun film relevant d'un genre précis, que ce soit le fantastique (Jean Rollin), la comédie musicale (Jacques Demy), le film noir (Melville) voire le western (Une aventure de Billy the Kid de Luc Moullet) mais qu'il n'y a jamais eu de structure industrielle permettant la réalisation de films en série, relevant des mêmes archétypes.
En défendant un « genre » à la française (en se demandant d'ailleurs pourquoi privilégier le fantastique et l'horreur plutôt que la comédie musicale ou le western?), les auteurs entérinent paradoxalement le fait que les films dont il est question restent des prototypes. C'est d'ailleurs ce que dit assez justement le producteur Marc Missonnier lorsqu'il distingue les films qu'il produit et le cinéma de Julia Ducournau ou Thomas Cailley. Revendiquant de faire des films de divertissement, il précise qu'il « n'est pas sur l'expression d'un auteur quelque peu torturé qui mettrait en scène ses cauchemars ». Avec un peu de cynisme, il avoue ensuite abruptement que ce « cinéma de genre » dont il est fait l'éloge est avant tout une forme d'opportunisme économique (« En revanche, ce qui est sûr, c'est que le cinéma d'auteur pur et dur fait beaucoup moins d'entrées qu'avant ») et qu'il cherche à séduire un nouveau public (« (…) des filles qui ont entre 15 et 25 ans et qui y vont en bandes. C'est notamment le public qu'on vise, avec Sony »).
On touche alors ici les limites de cette « pop culture » qui entend donner une légitimité à un cinéma fantastico-horrifique qui n'en a, au fond, aucun besoin. Parce que si les amateurs furent regardés, il y a une trentaine d'années, comme des psychopathes en puissance, le genre a aussi été réhabilité et ses grands auteurs distingués (de Carpenter à Argento en passant par Wes Craven, Lucio Fulci ou Tobe Hooper). D'autre part, parce que cette réhabilitation s'inscrit dans une mode où le discours doit prédominer sur la forme (un film comme The Substance en représente une sorte de quintessence tant tout y est assené avec une extrême lourdeur) et qu'aucun des intervenants ne parvient à vraiment montrer ce que le fantastique, l'horreur et l'épouvante peuvent avoir de singulier sur nos imaginaires et les représentations de la société (en dehors de tics sociétaux plaqués artificiellement).
C'est en cela que la plupart des entretiens se révèlent assez superficiels et, au fond, assez anecdotiques. Je ne décourage pas pour autant d'éventuels lecteurs intéressés par ce nouveau courant qui mêle fantastique et visions d'auteur de se plonger dans ces entretiens : ils apprendront peut-être des choses sur la fabrication de Vermines (Sébastien Vanicek) ou de The Substance (Coralie Fargeat).
De mon côté, j'avoue que cette approche ne m'a pas convaincu...