Visage(s) du cinéma italien : 69- La comédie navrante
Et mon cul, c'est du poulet ? (1981) de Francesco Massaro avec Leo Gullota, Donatella Damiani, Bombolo
« -Hep les gars ! On doit distribuer en France une comédie italienne. Comment vous traduiriez I Carabbineri ?
- Ben Les Carabiniers ...
- Déjà pris par Godard en 1963...
- Monsieur a des lettres ! Tu crois que le public qui va aller voir ce film connaît Godard ?
- Peu importe... Évitons les embrouilles et trouvons autre chose.
- De quoi est-il question dans cette œuvre ? En ce moment, la mode chez les Italiens est aux comédies sexy... Il faut un titre qui claque...
- Pour une fois, c'est un film presque exclusivement masculin et totalement dénué d'érotisme... Mais tu as raison, jouons sur un côté un peu racoleur... Il est question ici de gendarmes...
- Les Gendarmes en folie ?
- Non, ça fait trop De Funès...
- Sacrés gendarmes ?
- Tu te moques de moi ? Bernard Launois a sorti un film sous ce titre l'an passé !
- Et mon cul, c'est du poulet ?
- Ah ! Ça claque pas mal...
- Non mais c'était une blague, hein
- Non, non, j'aime bien... Le mot « cul » va induire en erreur le public et la formule traduit bien la teneur légère et grivoise de l’œuvre. Adopté ! »
Voilà comment j'imagine les discussions préalables au choix du titre du film de Francesco Massaro, l'homme qui a sans doute eu le moins de chance quant aux traductions de ses rares œuvres à sortir en France. Songez, par exemple, qu' Al Bar dello sport est sorti chez nous sous le titre de … Baisse ta culotte, ma cocotte ! Tout un poème !
Si on se penche sur son cas, on observera que l'obscur tâcheron Massaro a quand même débuté au cinéma comme deuxième assistant de Visconti sur Le Guépard puis qu'il a épaulé en tant qu'assistant des cinéastes tels que Pietro Germi, Lucio Fulci ou encore Dino Risi. En 1972, il débute à la réalisation avec Le général dort debout avec Ugo Tognazzi puis signe en 1980 Le Coucou avec Michel Serrault et Tomas Milian !
Comme son titre français l'indique, Et mon cul, c'est du poulet ? relève de la « comédie navrante » la plus ringarde imaginable. Comme je l'ai suggéré plus haut, le film de Massaro ne s'inscrit absolument pas dans le filon fécond de la « comédie sexy » et même si la plantureuse Donatella Damiani (qui incarna une célèbre soubrette dans La Cité des femmes de Fellini) fait partie de la distribution, elle a un rôle complètement périphérique et elle garde – hélas!- toujours ses vêtements ! Massaro joue plutôt la carte du comique troupier en filmant une mission confiée aux gendarmes les plus incompétents qu'on puisse imaginer, tout en tentant d'ajouter une dimension « absurde » qui viendrait, comme un décalque maladroit, des films des ZAZ. Citons, à titre d'exemple, ce moment où un gendarme qui se voit privé de nourriture se met à imiter une poule et peut, ainsi, pondre un œuf ! Dans le même ordre d'idée, quand deux pandores se voient intimer l'ordre d'appeler l'ascenseur, ils hurlent en chœur « Ascenseur !». On leur explique alors qu'il faut le faire avec le doigt, et nos deux nigauds, un doigt dans la bouche, hurlent à nouveau « Ascenseur ! » Subtil, non ? Mais vous n'avez encore rien vu, comme dirait Resnais : l'homme à l’œuf, après l'avoir ingéré, est pris de violents maux de ventre qui nous valent des bruitages très explicites, avant qu'une porte des toilettes explose sous l'effet de ses flatulences. Plus tard, deux brigands se retrouveront cachés sous un lit tandis qu'un homme, couché au-dessus, jouera à son tour les pétomanes en faisant craquer les ressorts de la couche !
Tout est de ce niveau : lourd et débile, grimaçant (à l'image du pitre Bombolo) et criard. À cela s'ajoute une incompétence technique assez remarquable. Outre les nombreux faux raccords, on peut constater que Massaro et son chef-opérateur se montrent parfois incapables de faire le point. Le temps d'une scène dans un bistrot, tout un échange est filmé avec des personnages flous car la caméra a fait le point sur le taxi jaune à l'arrière-plan ! Massaro, précurseur de Hong Sang-Soo et de Robin Williams chez Woody Allen ? Pour parachever le tout, l'épouvantable version française de ce film parviendrait presque à faire passer Max Pécas pour du Dreyer.
En matière de nullité, nul doute qu'on atteint ici des sommets...