La Orca (1976) d’Eriprando Visconti avec Michele Placido, Rena Niehaus, Flavio Bucci

Visage(s) du cinéma italien : 70- L'autre Visconti

Dans la famille Visconti, je demande le neveu… Mort prématurément à 62 ans et bien moins célèbre que son oncle Luchino, Eriprando Visconti a pourtant réalisé une dizaine de films (neuf fictions et deux documentaires) entre 1962 et 1982. Une œuvre relativement restreinte comparée à celles d’autres artisans du cinéma italien de l’époque, ce qui rend le cinéaste encore plus inclassable. On trouve dans sa filmographie des adaptations littéraires (notamment une réinterprétation de Michel Strogoff de Jules Verne) et quelques titres qui semblent l’affilier au poliziottesco (Manœuvres criminelles d’un procureur de la République en 1972). En revanche, contrairement à ce qu’on peut lire sur Wikipédia, La Orca n’a strictement rien à voir avec un « giallo érotique ». C’est avant tout un drame centré sur la psychologie des personnages.

Le film semble d’abord s’épanouir sur le terreau du poliziottesco puisqu’on assiste d’emblée à l’enlèvement en pleine rue d’une jeune étudiante. L’époque est celle des « années de plomb » et des attentats terroristes. On peut alors imaginer que derrière ce kidnapping se dessinent des motivations politiques. Mais très vite, il apparaît que Visconti s’éloigne de ces sentiers balisés. L’enlèvement a été perpétré pour une classique demande de rançon mais tout l’aspect policier et action est évincé pendant une bonne partie du métrage.

Le film se recentre très rapidement sur la relation ambiguë qui se noue entre Alice, la victime (Rena Niehaus) et son ravisseur Michele (Michele Placido). Le cinéaste instaure immédiatement un malaise palpable entre une promiscuité non voulue et le désir naissant chez le jeune homme. Il s’agit de filmer le plus précisément, et avec une certaine crudité, une cohabitation improbable : soulager Alice qui a mal aux épaules en l’attachant d’une manière différente, la déshabiller et l’essuyer lorsqu’elle se rend aux toilettes, la forcer à prendre des cachets qui l’endorment… A la lecture de ces éléments, on comprend qu’Eriprando Visconti se tient en équilibre sur un fil et qu’il pourrait à tout moment tomber dans les travers du cinéma d’exploitation pour verser dans le crapoteux. A fortiori lorsque Michele laisse son désir le submerger et fantasme sur le corps d’Alice qu’il peut déshabiller à sa guise. Or La Orca réussit à ne pas franchir la ligne rouge, parvenant à montrer le côté sordide de la situation sans pour autant offrir aux spectateurs le loisir de se rincer l’œil. Certes, Rena Niehaus est assez souvent dénudée, y compris lors d’une belle scène où elle a le droit de se laver sous les yeux de son bourreau (qui la « garde » et la « regarde » en même temps), mais jamais la mise en scène ne se montre complaisante. Visconti conserve une sorte d’œil « clinique » qui lui permet d’instaurer une certaine distance, de ne pas érotiser les situations dont certaines relèvent même du viol. Toute l’ambiguïté du film tient d’ailleurs à cet aspect consenti ou non de la relation amoureuse (ou, du moins, sexuelle) qui s’installe entre Alice et Michele. Si l’on songe d’abord à une nouvelle variation autour du « syndrome de Stockholm », la fin, implacable, remet les choses en perspective et brise de manière assez forte ce romantisme de la victime qui succombe au charme de son bourreau.

La force du film tient dans cette manière d’instaurer une atmosphère pesante et claustrophobe. Si le cinéaste sort quelque fois de la ferme abandonnée où est séquestrée Alice, notamment lors de la résolution finale, il demeure pour l’essentiel dans ce lieu étouffant où nous resterons enfermés, témoins impuissants d’une inéluctable tragédie montrant l’impossibilité d’un amour lorsque c’est la violence qui a dicté la rencontre et fait naître une relation non désirée…

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