Talents en devenir
Nos premiers films : conversations (2025) d'Ava Cahen (Marest éditeur, 2025)
L'étape du premier film (qui désigne d'ailleurs ici le premier long-métrage puisque les cinéastes interrogés avaient tous une expérience du court) est une étape primordiale pour les apprentis metteurs en scène et dépend souvent d'un contexte précis. On imagine, par exemple, qu'il était plus aisé pour un jeune réalisateur de commencer à l'époque de la Nouvelle vague, au moment où les producteurs se montraient avides de dénicher le nouveau talent capable de rivaliser avec Godard ou Truffaut.
Les cinq cinéastes interrogés par Ava Cahen dans le cadre de cet ouvrage sont de la « génération covid », en ce sens qu'ils ont élaboré ou sorti leur premier film durant la pandémie. Autre point commun : ils ont tous bénéficié d'une présentation à Cannes, dans l'une des sélections parallèles à la compétition. Ces éléments suffisent-ils à dessiner les contours d'une « nouvelle génération » ? Pas certain même si des liens se tissent parfois entre tous ces nouveaux talents.
La forme adoptée par Ava Cahen est très classique : après avoir interrogé chacune des personnalités sur son rapport au cinéma et les premières images découvertes à l'enfance, elle s'intéresse aux différentes étapes ayant conduit à la réalisation du film (production, écriture, choix des comédiens...). Une fois le tournage à proprement parler terminé, les jeunes réalisateurs sont amenés à évoquer « l'après », qu'il s'agisse de la distribution, de la sortie en salles ou de la réception par le public et la critique de leurs œuvres.
Si l'on peut constater que ces cinq cinéastes possèdent des points communs (beaucoup n'avaient pas la télévision et ont découvert le cinéma de manière détournée), les ressemblances s'arrêtent assez vite. Chacun vient d'horizons différents et aborde le cinéma de manière singulière. Jonathan Millet reste marqué par sa pratique du documentaire tandis que Céline Devaux (peut-être l'entretien qui, de manière totalement subjective, m'a le plus touché) évoque son rapport avec l'animation. Tandis qu'Alexis Langlois pratique un cinéma résolument queer, Iris Kaltenbäck et Baloji tentent des hybridations entre le cinéma d'auteur et le thriller (Le Ravissement) ou la fable fantastique (Augure).
Le livre décortique assez bien les obstacles (notamment financiers) auxquels se sont heurtés ces cinq jeunes cinéastes. Il ressort également que la rencontre avec un producteur (interrogés de concert) est un élément primordial de la réussite d'un projet. Ce qui peut sembler une banalité de base si l'on ne songe qu'à l'aspect financier se révèle être aussi une nécessité pour instaurer un dialogue basé sur la confiance et l'écoute mutuelle. Il y a quelque chose de passionnant à voir une productrice chevronnée comme Sylvie Pialat prendre sous son aile une jeune réalisatrice (Céline Devaux) et la soutenir. De ces dialogues entre producteur et réalisateur, il ressort l'idée qu'il faut atteindre un équilibre entre la nécessaire liberté accordée au créateur et des exigences (financières mais aussi artistiques) qu'il faut parfois canaliser.
On aurait aimé qu'Ava Cahen insiste parfois davantage sur la mise en scène à proprement parler et la question du style quand on est encore débutant et qu'il s'agit de faire ses preuves. Même s'ils sont fouillés et intéressants, ces entretiens n'évitent pas toujours un côté un peu anecdotique. C'est d'ailleurs la petite réserve que j'émettrais : si les livres d'entretien peuvent se justifier lorsqu'ils permettent à un cinéaste de revenir sur son œuvre et de l'analyser (citons l'incontournable Hitchcock par Truffaut, modèle du genre indépassable ou presque), on peut se demander si ce recueil d'interviews de personnalités disparates n'est pas un peu prématuré pour un ouvrage et s'ils ne trouveraient pas davantage leur place dans une revue.
On peut aussi voir dans ce livre généreux et, je le répète, intéressant la plupart du temps, une sorte de pari sur l'avenir qui considère que Jonathan Millet, Iris Kaltenbäck, Baloji, Alexis Langlois et Céline Devaux compteront parmi les cinéastes français importants dans une quinzaine d'années.
Ava Cahen aura alors immortalisé la première les mots et les débuts de ces cinéastes que nous suivrons désormais avec intérêt.