Visage(s) du cinéma italien : 76- Le film de music-hall
Mondo Balordo (1964) de Roberto Bianchi Montero
En 1959, le vétéran Alessandro Blasetti réalise Nuits d’Europe dont le succès (il fait encore partie des 100 premiers films du box-office italien) donna naissance à un courant aussi fructueux qu’éphémère : le film de music-hall. Bien qu’il s’agisse d’un filon italien par excellence, on en retrouve des traces dans les « burlesque pictures » yankees faisant la part belle à des spectacles de strip-tease ou dans quelques films français des années 50 où la caméra s’encanaille en allant visiter les coulisses des music-halls afin d’y débusquer quelques danseuses/comédiennes en tenue légère.
Le film de music-hall est une forme très particulière du documentaire qui propose aux spectateurs de découvrir les endroits les plus insolites de la vie nocturne des villes du monde entier. La part belle est faite aux attractions les plus diverses, de la variété la plus traditionnelle (dans Nuits d’Europe, Henri Salvador interprète sa chanson Dans mon île) jusqu’aux spectacles les plus corsés de certains cabarets et leurs proverbiaux strip-teases.
À propos de ces films, Jean-Pierre Bouyxou écrit dans Sex Star System : « Bien sûr, tout le monde se foutant éperdument des dresseurs de toutous, équilibristes chinois et chanteurs de charme, une part de plus en plus large fut donnée aux strips, lesquels, d'abord éhontément chastes, se firent volontiers graveleux : peu de nu, mais du fétichisme à gogo, de l’obscénité à la pelle, de la petite culotte à foison. Le tout filmé avec les pieds dans un coin de studio (quoique théoriquement pris sur le vif dans « les plus célèbres cabarets du monde entier »), chiant comme la vérole et aussi frénétiquement délirant qu'un film de Bresson. »
Après Luigi Vanzi qui réalise Il Mondo di notte en 1960 (avec pour scénariste Gualtiero Jacopetti), certains cinéastes vont se spécialiser dans le genre, que l’on songe au redoutable Mino Loy (Nuits capiteuses, Mondo sexy di notte, 90 notte in giro per il mondo…) ou Roberto Bianchi Montero qui va nous occuper aujourd’hui (Nuits chaudes d’Orient, Sexy follie, Univers interdit…).
Si le filon fut si éphémère, c’est qu’il fut très vite phagocyté par un autre succès, celui de Mondo cane de Gualtiero Jacopetti, Paolo Cavara et Franco Prosperi. Dès lors, la simple évocation de la vie nocturne ne suffit plus et il va falloir donner au spectateur plus de sensationnel, plus d’exotisme, plus de violence et plus d’érotisme.
Mondo Balordo est le résultat de cette hybridation improbable entre le film de music-hall et le « mondo ». Entre deux séquences autour de spectacles divers, Roberto Bianchi Montero nous propose quelques images peu ragoûtantes d’animaux massacrés (une chasse à l’éléphant en Afrique, une tortue dépecée qui annonce la tristement célèbre scène de Cannibal Holocaust…), de cérémonies nuptiales chez les papous ou de séances de photographie « bondage » à Hong-Kong. Pourtant, on est encore loin du racolage crapoteux qui caractérisera le filon à la fin des années 60 et dans les années 70. Le cinéaste, père de Mario Bianchi qui barbotera également dans le cinéma bis transalpin, accumule les saynètes inoffensives, du chanteur de rock nain (Franz Drago) à une forme de lutte féminine d’un nouveau type (il s’agit de faire éclater le ballon que les participantes ont accroché dans le dos) en passant par un très chaste strip-tease à Hong-Kong et des scènes de plage parfaitement anodines (mais en 1964, filmer une inconnue en bikini semblait constituer le summum de l’audace). Alors que le « mondo » promet d’ordinaire aux spectateurs des images jamais vues, du sensationnel à tout instant, Mondo Balordo se révèle tristement platounet, offrant en guise d’insolite un coiffeur africain utilisant de l’urine de chameau comme produit décolorant pour les cheveux ou une élection américaine de « miss pull-over ». A noter que cette séquence est bizarrement sous-titrée puisque toutes les candidates sont censées avoir 34 ou 36 ans (c’est ce que prétend la traduction et que démentent les visages relativement juvéniles des candidates) alors que les « thirty-four » et « thirty-six » prononcés par le président du jury semblent davantage désigner leurs mensurations !
Dans la mesure où le film ne possède aucun intérêt « documentaire » (la forme inepte de cette succession de courtes scènes en fait un précurseur du zapping télévisuel) et qu’il nous prive des éléments les plus sensationnalistes du filon (érotisme, violence…), inutile de dire qu’on s’ennuie ferme.
N’oublions pas néanmoins que le recyclage et le bidonnage constituent les deux principales mamelles du « mondo ». Certains « stock-shots » ou certaines séquences sont recyclés de film en film tandis que certaines œuvres peuvent être remontées ou proposées dans des versions différentes. Ainsi, The Forbidden de Lee Frost recycle une bonne partie du ridicule « mondo » de Claude Lelouch La Femme spectacle. La version que j’ai pu voir de Mondo Balordo est celle de 1967, destinée au marché américain. Il est donc possible que certaines coupes aient été effectuées. Par ailleurs, elle a été agrémentée d’un commentaire en anglais dit par Boris Karloff.
Mais malgré cette incertitude et la voix du grand comédien, rien ne sauvera pour autant cette entreprise antédiluvienne du naufrage…