Visage(s) du cinéma italien : 80- Domenico Paolella
Les Religieuses du Saint-Archange (1973) de Domenico Paolella avec Anne Heywood, Ornella Muti, Martine Brochard, Luc Meranda
Lorsqu’il réalise Les Religieuses du Saint-Archange en 1973, Domenico Paolella est déjà un vieux briscard du cinéma populaire italien. Né en 1915, il débute dès la fin des années 30 avec des courts-métrages expérimentaux. Mais c’est au cours des années 50 que débute sa véritable carrière, exploitant comme tant d’autres les filons à la mode. Ainsi œuvra-t-il dans le film musical avant de signer des films d’aventures (je n’ai plus aucun souvenir de L’Île aux filles perdues mais mes archives me rappellent que j’avais trouvé ça nul) puis les incontournables péplums (Maciste contre les Mongols et Ursus le rebelle en 1963). Quand le filon se tarit, il enchaîne sans vergogne avec l’ « eurospy » (ces films d’espionnage usinés dans le sillage du succès de James Bond) – 003 Agent secret - puis le western (Haine pour haine en 1967, Execution en 1968) avant de finir par des films teintés d’érotisme.
Parcours classique, se diront mes braves lecteurs qui suivent ce panorama du cinéma italien depuis ses débuts. Pourtant, même si je n’ai pas vu assez de films du cinéaste pour en tirer des conclusions générales, il me semble que Paolella se distingue néanmoins de la pléthore d’artisans qui feront vivre le cinéma populaire transalpin. Est-ce une question de génération ? Plus âgé, Paolella semble davantage attaché à une forme classique, moins propice aux excès d’un Umberto Lenzi, par exemple.
Prenons Les Religieuses du Saint-Archange qui avait, sur le papier, tous les ingrédients pour s’inscrire dans la tradition de la nunsploitation. Si Paolella flirte parfois avec le cinéma d’exploitation, notamment lorsqu’il filme les religieuses se faire torturer par le tribunal de l’inquisition, il s’en démarque résolument par le soin accordé à la mise en scène, à la photographie (signée Giuseppe Ruzzolini – qui travailla pour Pasolini, Leone, Comencini ou Tonino Valerii – elle s’avère d’une grande beauté) et à la valorisation des décors naturels (le film a été tourné dans un véritable couvent à Priverno).
L’histoire est également classique et vient d’un récit anonyme du XIXe siècle qui aurait aussi inspiré Stendhal pour ses Chroniques italiennes. Paolella nous plonge au cœur du XVIe siècle dans un couvent où la mère supérieure vient de mourir. S’engage alors une lutte de pouvoir entre la plus âgée des sœurs, la sœur Giulia (Anne Heywood) qui vient d’une grande famille et la sœur Carmela qui fait venir son amant dans sa cellule. Amoureuse de sœur Giulia, sœur Chiara (Martine Brochard) consigne tous les événements qui se déroulent dans le couvent et veut en dénoncer le fonctionnement. Quant à la jeune sœur Isabella (Ornella Muti), elle a été cloîtrée de force pour l’éloigner de l’élu de son cœur.
On l’aura compris, c’est moins l’aspect racoleur de ce genre d’histoire (mélange de cruauté – dans les punitions- et d’érotisme – provoqué par la promiscuité de toutes ces jeunes femmes -) qui intéresse le cinéaste que la description assez subtile des luttes de pouvoir, de l’influence du monde séculier sur le monde monastique… Critiquant à la fois l’hypocrisie de l’archevêque toujours complaisant avec les grands de ce monde capables de financer son Église mais aussi les exactions d’une religion sombrant dans le fanatisme (l’Inquisition), Paolella fait preuve d’un anticléricalisme assez réjouissant. Comme dans le très beau Lettres d’amour d’une nonne portugaise de Jess Franco, les premières victimes de l’arbitraire du pouvoir religieux sont les nonnes. Même les plus vénales et les plus perfides s’avèrent elles aussi des victimes écrasées par un système inique et hypocrite. Qu’il s’agisse de complaire aux puissants (la jeune Isabella devient monnaie d’échange pour que sœur Giulia puisse devenir mère supérieure) ou de se conformer aux conventions, aucune nonne ne semble être entrée dans les ordres pour des questions de foi.
Paolella s’appuie également sur une distribution solide pour parachever la réussite (modeste) de son film. Dans le rôle de sœur Giulia, la comédienne britannique Anne Heywood trouve la juste mesure entre une certaine perfidie (qui la fera sacrifier sa nièce Isabella) et la révolte contre l’ordre inquisitorial qui éclate lors de la scène finale. Face à elle, on trouve en nonne amoureuse la sensuelle Martine Brochard qui fera une belle carrière en Italie (notamment chez Riccardo Freda, Sergio Martino, Eriprando Visconti et Tinto Brass) après avoir débuté dans Baisers volés de Truffaut et Le Socrate de Lapoujade. Enfin, cerise sur le gâteau, Ornella Muti fait partie de la distribution et à 17 ans, sa beauté irradie déjà les plans où elle figure. En jeune passionnée romantique qui garde néanmoins la tête sur les épaules, elle prouve également qu’elle est une excellente comédienne.
À mi-chemin entre le cinéma d’exploitation (mais la violence et l’érotisme restent très légers) et le drame historique classique, Paolella a trouvé sa voie et signe un film ambitieux plutôt réussi.