Libidine (1979) de Raniero Di Giovanbattista avec Marina Frajese, Cinzia De Carolis, Ajita Wilson

Visage(s) du cinéma italien : 82- Raniero Di Giovanbattista

J’évoquais dans ma note précédente la question des limites que le cinéma s’est toujours plu à repousser. Cette question se pose à nouveau avec Libidine mais de manière plus « classique » puisqu’il s’agit ici de la fameuse limite toujours floue entre l’érotisme et la pornographie. Je vous épargnerai les débats oiseux autour de la définition de ce qui relève de « l’érotisme » ou de la « pornographie » et qui agitent régulièrement les partisans de la suggestion et les militants du sexe décomplexé. Plutôt qu’une approche « morale » distinguant ce qui pourrait se montrer et ce qui relèverait de l’obscène, contentons-nous d’une définition pragmatique : la pornographie, au cinéma, qualifie tout acte sexuel réalisé de manière non simulée. A ce titre, Libidine ne s’inscrit pas dans cette catégorie, même si les choses s’avèrent un peu plus complexes que prévu.

Il faut dire que l’Italie, dans ce domaine, prit le (l'arrière)-train en marche. Alors que le cinéma pornographique (qui a, rappelons-le, (presque) toujours existé mais sous une forme clandestine pendant des décennies) obtint droit de cité sur les écrans dès la fin des années 60 dans les pays les plus libéraux (le Danemark, exemplairement) puis en 1972 aux États-Unis avec la sortie de Gorge profonde de Gérard Damiano et au tournant des années 74/75 en France.

Plus vétilleuse (tradition catholique exige), la censure italienne interdit pendant longtemps la représentation pornographique et il faudra attendre le début des années 80, alors que le cinéma italien subissait une crise sans précédent, pour que soient autorisées les premières galipettes explicites.

Là où les choses se compliquent, c’est que ceux qui ont vu les versions intégrales de Black Emanuelle en Amérique ou Black Emanuelle autour du monde de Joe D’Amato (qui signa les premiers pornos italiens à sortir en salles) savent que ces films comportent des scènes « hard » et pas les moindres ! On aura alors compris que si les Italiens devaient se contenter de versions « soft », les cinéastes n’hésitaient déjà pas, au cours des années 70, à tourner des versions plus épicées pour l’étranger ou à caviarder leurs œuvres de stock-shots gynécologiques.

J’ignore s’il existe une version plus corsée de Libidine que celle qui traîne sur la toile. Certaines coupes abruptes peuvent le laisser supposer. Mais on peut aussi penser que Raniero Di Giovanbattista s’est ravisé au montage et qu’il a édulcoré les scènes qu’il avait tournées. Car si son film reste (relativement) soft, il possède déjà toutes les caractéristiques du cinéma hard. Dès les premiers plans, avec sa musique d’ascenseur et son adipeux moustachu, on entre dans le territoire balisé du genre. Partant d’un vague prétexte fantastique (un savant veut introduire le métabolisme des serpents au cœur du corps humain afin de résoudre le problème de la faim dans le monde), le film enchaîne les saynètes érotiques avec une mollesse et une absence de talent assez décourageantes. Di Giovanbattista, qui ne réalisa que quatre films, se tournera d’ailleurs vers le cinéma pornographique par la suite et offrira à la vedette Moana Pozzi l’un de ses premiers rôles dans Valentina, ragazza in calore (1981). Ici, il fait d’ailleurs jouer deux stars du genre : la volcanique blonde Marina Frajese, qui évoluera du cinéma classique (Risi, Festa Campanile, Fulci…) et/ou gentiment érotique au hard le plus décomplexé et Ajita Wilson, actrice trans qui fera une petite carrière dans le porno avant son décès précoce.

Libidine traduit assez bien les atermoiements d’un cinéma encore contraint par la censure et désireux de repousser les limites, de transgresser les tabous. La caméra de Di Giovanbattista se fait parfois fureteuse et s’attarde plus longtemps que convenu entre le compas des cuisses de Marina lors d’une scène de masturbation assez osée. Plus tard, ce sera un « 69 » entre la même Marina Frajese et Ajita Wilson qui frisera les limites du hard.

Mais osées ou pas, ces scènes ennuient plutôt dans un premier temps car elles ne sont pas bien filmées ni soutenues par un scénario rachitique. Cette histoire d’expérience scientifique n’a aucun intérêt et elle est incarnée par des personnages masculins particulièrement abjects : le porc moustachu qui tente de violer toutes les filles de la maisonnée et qui s’avère également un beauf raciste, le professeur qui ne cesse d’insulter son épouse, son assistant qui frappe la jeune Anna (Cinzia De Carolis) et qui tente également de la violer…

Mais le film devient plus intéressant lorsque la jeune fille (rappelons que la comédienne Cinzia De Carolis, alors âgée de 11 ans, fut la nièce de l’aveugle dans Le Chat à neuf queues de Dario Argento), telle Harry Potter, semble avoir le don de communiquer avec les serpents. Elle entreprend d’abord de se venger de toutes les ordures qui composent la maisonnée avant de finir par s’accoupler avec le reptile lors d’une séquence particulièrement marquante et longue.

Paradoxalement, ce long moment lascif où il ne se passe strictement rien si ce n’est la contemplation d’une jolie jeune femme nue qui joue à laisser glisser un serpent le long de son corps produit un effet d’envoûtement assez fascinant. Le temps s’arrête et on se retrouve comme devant un film expérimental de Stephen Dwoskin (toutes proportions gardées !), un cinéma réduit à l’essentiel : le réalisateur et son interprète. Même le filmage devient plus inspiré, jouant sur la durée et une volonté de saisir dans le temps et l’espace la belle et la bête. On pourrait ergoter sur l’inclination douteuse d’un certain cinéma bis italien pour la zoophilie (Cf. Joe d’Amato ou même Marina Frajese qui, visiblement, ne recula pas devant ce type de scène) mais la nature même du passage finit par atténuer sa dimension scandaleuse (je mets à part l’insert pas très heureux qui conclut la scène et qui, j’imagine, a dû être doublé) et même transcender sa lourdeur symbolique (Eve et la tentation que symbolise le serpent est une imagerie que Gérard Damiano avait également convoquée dans The Devil in Miss Jones).

Juste pour cette fin assez sidérante et plutôt belle, ce médiocre film érotique mérite, malgré tout, un coup d’œil.

 

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