Comédie musicale (1981) d'Alain Masson (Marest éditeur, Marest bis, 2025)

Penser le musical

Après une belle monographie consacrée à James Cain, la toute jeune collection « Marest bis » s'enrichit d'un nouveau titre : la réédition de l'ouvrage phare d'Alain Masson Comédie musicale. Même s'il est possible d'y trouver un intérêt historique, les ouvrages généralistes consacrés au cinéma sont voués à vieillir dans la mesure où de nombreux films sortent chaque semaine et où le corpus étudié finit fatalement par être limité dans le temps. L'un des avantages de l'essai d'Alain Masson, c'est qu'il se penche sur un genre déjà caduc en 1981. Après la période classique hollywoodienne, il y aura encore des comédies musicales (de Jacques Demy jusqu'à La, La, Land de Chazelle) mais ces œuvres feront toujours figure de prototypes, sans s'inscrire véritablement dans un genre. Le corpus étudié, qui court, en gros, des années 30 à la fin des années 50, serait sans doute toujours le même si l'essai sortait aujourd'hui.

Quand il paraît au début des années 80, les études sur le genre cinématographique ne sont pas courantes : « Le cinéma n'avait pas encore trouvé sa vraie place dans les recherches universitaires et les essais qui lui étaient consacrés se préoccupaient plus volontiers des grands cinéastes ou des écoles nationales que des futiles bluettes auxquelles je consacrais mes studieux et délicieux loisirs. » C'est donc peu dire qu'Alain Masson fait ici figure de défricheur et que son ouvrage aborde le genre avec une ampleur remarquable dans toutes ses ramifications.

Précisions que si l'auteur confesse une affection toute particulière pour la comédie musicale qui l'a guidé constamment ("Inutile de dire qu'une inclination gouverne cet ouvrage. Pourquoi faudrait-il s'en excuser ? Le formalisme du musical est aimable, sa présence charmante, ses règles légères, sa frivolité tendre. N'est-ce pas assez pour évoquer la réconciliation du bon goût et de l'abandon, de la rigueur et du sentiment, de la malice et de la bienveillance ? Tout nous engage à connaître le bonheur : comédie musicale".), l'ouvrage s'avère dense, touffu et parfois ardu. Alain Masson possède assurément du style mais son écriture nécessite souvent une concentration assez soutenue, d'autant plus que les œuvres évoquées ne sont pas toujours très célèbres.

 

Ceci posé, l'essai se compose de deux parties. Dans la première, Alain Masson s'intéresse aux fondements du genre, à ses formes, ses caractères et son langage propre. L'auteur enseignait alors la linguistique et certaines réflexions sont imprégnées par cette discipline. Creusant ces caractéristiques, l'auteur en vient forcément à la question (primordiale) du corps et ses implications érotiques, à la manière dont ces corps occupent l'espace et la liberté que leur accorde le musical. Une des forces de l'essai consiste à tirer divers fils sans pour autant perdre la logique de la démonstration. Masson peut analyser de manière minutieuse le cas précis de Fred Astaire avant de présenter une typologie éclairante des divers numéros proposés dans le cadre de la comédie musicale : la place du chœur, la danse en solo, le duo ou le trio et tout ce qu'ils peuvent signifier.


La seconde partie est plus historique même si l'auteur tient à une certaine transversalité de l'approche. Il s'agit de remonter aux origines du genre du côté de l'opérette et de Broadway avant de décrire ses évolutions. Alain Masson se montre d'ailleurs plus nuancé que la vision caricaturale qui perdure aujourd'hui et oppose le classicisme de la MGM (avec les comédies musicales produites par Arthur Freed comme point d'orgue), où chant et danse se mêlent harmonieusement au récit) et les films d'avant-guerre proposant avant tout des numéros musicaux plus ou moins justifiés par un fil directeur narratif. Le livre dépasse ces clivages et s'intéresse aux lignes directrices des différents studios (la Warner et la RKO avant-guerre, la MGM et la Fox ensuite), aux arguments scénaristiques (avec le classique récit suivant l'élaboration d'un spectacle à monter), à la magnificence des chorégraphies d'un Busby Berkeley et à l'élaboration progressive d'un certain classicisme où un certain équilibre se mit en place entre le scénario et la mise en scène, les chorégraphies et le chant.

 

Même si l'approche du genre est souvent formelle, parfois assez technique (Masson est un spécialiste de la musique), il n'en demeure pas moins que l'essai propose également quelques pistes interprétatives et thématiques, à l'instar de sa dimension onirique et de l'éloge de la liberté qu'on peut y lire : « la comédie musicale a trouvé sa traduction filmique parce qu'il fallait donner une image nouvelle de l'humanité : la simple présence du sujet, comme corps et même comme voix, l'exercice innocent de la liberté, vécue dans la danse, souveraine de l'espace et messagère du sentiment, légère. Sans complication et presque sans enjeu, l'homme du parlant devenait, grâce au genre nouveau, matière de spectacle autant que de récit. »

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