Bong Joon-Ho : désordre social (2025) d’Erwan Desbois (PlayList Society, 2025)

Anatomie du chaos

Depuis la découverte de son deuxième long-métrage (Memories of Murder) jusqu’à sa palme d’or à Cannes (Parasite), Bong Joon-Ho s’est imposé en France comme l’un des cinéastes les plus importants et les plus représentatifs de cette nouvelle vague coréenne que l’on a vu déferler au début des années 2000 (Lee Chang-Dong, Im Sang-Soo, Park Chan-Wook, Kim Ki-Duk ou, dans un style très différent, Hong Sang-Soo…). Si l’œuvre du cinéaste a déjà été étudiée dans des revues (un très savant et complet numéro de la revue Eclipses -n°68 en juin 2021, un hors-série du magazine La Septième Obsession publié en début d’année, à l’occasion de la sortie de Mickey 17), l’essai d’Erwan Desbois est, sauf erreur, le premier ouvrage en langue française consacré à Bong.

Fidèle à la ligne directrice des éditions Playlist Society, à savoir un louable désir de vulgarisation, l’auteur nous propose un essai court, doté d’un plan très classique en trois parties. Ce que cette forme pourrait avoir d’un peu scolaire est néanmoins vite oublié grâce à la pertinence du propos. Une fois de plus, l’analyse ne sera pas aussi pointue que celles que l’on pouvait trouver dans la revue Eclipses mais Erwan Desbois embrasse de manière intelligente tous les enjeux principaux du cinéma de Bong. Dans un premier temps, il s’intéresse aux violentes disparités qui caractérisent la société coréenne :

"Chez les cinéastes coréens contemporains héritiers de cet esprit militant et contestataire, dont fait partie Bong Joon-Ho, les codes du mélodrame, ses protagonistes, situations et conflits très tranchés, voire excessif, sont dorénavant mis au service de la dénonciation de l'état du pays : l'impunité toujours criante des puissants, la fracture considérable entre riches et pauvres."

Cette réflexion annonce les deux axes de la démonstration de Desbois. D’une part, une approche thématique et sociologique qui revient sur la représentation de la société sur un mode vertical (Parasite restant l’exemple le plus probant), les violences exercées sur les plus pauvres, l’insouciance des nantis et le maintien d’un ordre par le pouvoir et son bras armé : la police. De l’autre, l’auteur s’intéresse à des questions plus formelles et à la manière dont Bong met en scène ce monde inégalitaire et ces injustices. Il s’agit donc de revenir sur la manière dont le cinéaste réinvestit les codes du mélodrame (notamment dans The Host) et comment il les pervertit par l’excès, une forme d’humour noir et parfois proche du grotesque.

Cet équilibre entre l’approche thématique (finalement assez évidente) et l’analyse des moyens mis en œuvre par Bong Joon-Ho pour figurer une société chaotique et violente, où l’individu risque à chaque instant de sombrer dans la folie (voir la fin de Memories of Murder avec son flic obsédé par une affaire irrésolue ou encore le beau Mother) fait la réussite du livre. Par ailleurs, on sait gré à Erwan Desbois de toujours chercher à contextualiser les films et de nous donner quelques repères essentiels sur l’histoire de la Corée, permettant de bien situer le cadre des films. A cela s’ajoute des références aux œuvres admirées par Bong et qui délimitent également son univers, qu’il s’agisse du cinéma de John Carpenter (modèle pour The Host en associant les codes du cinéma horrifique et le pamphlet social) mais également des classiques du cinéma coréen (La Servante de Kim Ki-Young) ou européen (La Cérémonie de Chabrol qui irrigue, d’une certaine manière, Parasite).

L’ensemble se révèle donc assez complet et constitue une première approche parfaite pour ceux qui voudraient se familiariser avec le cinéma de Bong Joon-Ho.

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