10 ans de blog : 29- Edouard Sivière
Avec quelques autres blogueurs que j’ai déjà cités, Edouard fait bien entendu partie de mes plus fidèles complices et un compagnon de route avec qui j’ai toujours grand plaisir à discuter et à débattre. Comme il va vous le rappeler tout de suite, j’ai eu la chance de le rencontrer en 2008 à l’occasion des Rencontres cinéma et vidéo de Nice. A cette époque, je me souviens m’être livré à un petit jeu pour déterminer ce qui me rapprochait et m’éloignait de mes trois petits camarades présents et je suis parvenu à chaque fois à créer des « doublettes » :
Avec Joachim, ce sont nos goûts « Cahiers » (forcément !) qui nous rapprochaient : Bresson, Garrel, Godard, Eustache…tandis que Vincent et Edouard étaient déjà de farouches « positivistes ».
Avec Vincent, nous nous sommes toujours entendus sur le cinéma « bis » et bizarroïde, peuplé de belles naïades dénudées tout en partageant la même aversion pour le football. Au contraire, Edouard (Cf. sa splendide note sur le match Positif-Cahiers) et Joachim aiment ce sport et n’affichent pas de réelle affection pour la série Z (les notes qu’Edouard a consacrées à Jess Franco sont très sévères).
Enfin, avec Edouard, c’est une inclinaison pour une certaine folie taxinomiste qui nous lie (d’où notre goût commun pour les premiers Greenaway ?). Comme le disait une de nos petites camarades, Edouard se sent tout faible s’il n’a pas devant lui un tableau rempli d’étoiles. Et je dois dire que je suis, comme lui, friand de ces tops en tout genre, de ces listes ludiques qui permettent la confrontation de points de vue, de ces questionnaires qui circulent parfois sur Internet.
Il y a fort longtemps, Edouard choisissait un cinéaste et demandait à ses lecteurs s’ils étaient « eastwoodiens » ou « coeniens ». Il s’agissait alors de donner son avis (notamment avec des petites étoiles) sur chaque film de l’auteur choisi. Puis, toujours partant pour les aventures collectives (c’est avec plaisir que je l’ai vu rejoindre l’équipe de Kinok en 2008), Edouard nous a proposé de participer à un tableau synthétique qui récapitulerait les grandes tendances de la « blogosphère » chaque mois. Ce fut l’aventure de Panoptique. Après avoir abandonné ce projet, il lance l’excellente idée de Zoom Arrière dont il sera question plus loin.
En outre, Edouard est l’auteur d’une copieuse et passionnante histoire des deux revues « historiques » de cinéma en France et je fus très fier de participer à son « feuilleton » En couverture où il s’agissait d’évoquer un souvenir marquant lié à une couverture des Cahiers ou de Positif.
Depuis quelques temps, notre ami ressent (un peu comme nous tous) une certaine lassitude : peur de la routine, de s’exprimer dans le vide (les commentaires sont désertés au profit d’un simple « j’aime » facebookien)… Il a abandonné son « historique » Nightswimming pour se lancer dans l’aventure de Nage nocturne. Mais je pense que comme tous, il reste taraudé par le désir d’écrire (et son arrivée toute récente aux Fiches du cinéma le prouve), de débattre, de s’engueuler (je finirai bien par lui faire admettre que De Palma est un cinéaste plus important qu’Altman !) et éventuellement d’aller boire un verre si on arrive un jour, ce que j’espère profondément, à tous se retrouver…
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Le Docteur Orlof et moi
Juillet 2004. Alors que certains, moi le premier, ne savent même pas ce que "blaugue" veut dire et en sont encore aux cahiers à spirales pour noter les films qu'ils voient, le Dr Orlof se lance dans l'aventure internet.
22 septembre 2007. Je poste mon premier commentaire sur le blog du Dr, à la suite de sa note sur "Saw", pour me faire connaître (puisque cela marche ainsi), pour m'étonner que le film soit traité avec autant de bienveillance et, bizarrement, pour défendre David Fincher.
28 septembre 2007 : Le Dr se manifeste à son tour chez moi, exprimant son désaccord sous mon texte consacré à "Lune de miel mouvementée", selon moi un mauvais McCarey.
Fin 2007 : Commentaires à chaque occasion, reprise des questionnaires et autres tops proposés par l'un et par l'autre… Le pli est pris.
Octobre 2008 : Grâce à l'invitation d'un amateur de westerns, responsable des Rencontres Cinéma et Vidéo de Nice, je rencontre en chair et en os un futur rédacteur des Cahiers du Cinéma et le Dr, beaucoup moins ténébreux que son homonyme apparaissant chez Jess Franco, lors d'un weekend mémorable.
Fin 2008 : Nous intégrons tous les deux la rédaction du site cinéphile Kinok, avec d'autres camarades blogueurs. Trois années durant, nous jouons des coudes pour obtenir la chronique de tel DVD et nous avons l'impression de faire partie d'une sorte de "Dream Team" de la blogosphère.
2009 : L'effervescence autour des blogs cinéma est à son point culminant. Les commentaires s'agglutinent sous la moindre note consacrée à un film faisant l'actualité. A peine a-t-on fini de répondre sur son propre site qu'il faut continuer le débat sur d'autres aspects chez deux, trois ou quatre voisins. Avec le Dr, la lutte est acharnée. J'insiste pour lui vanter les mérites de "Gran Torino" qu'il n'aime pas du tout. Il ne lâche rien sur "Whatever works" qui m'insupporte. A propos d'"Inglourious Basterds", nous débattons à l'infini. Heureusement que "Les Herbes folles" nous rapprochent.
2010 : Le Dr publie quantité de notes sur les films de Gérard Courant. Toujours passionnantes à lire, elles permettent la découverte d'un cinéaste extrêmement prolifique et pourtant totalement ignoré par la critique traditionnelle. Grâce à l'entremise du Dr, j'entre en contact avec lui et me lance à mon tour dans quelques chroniques de ses films, l'année suivante, alors que mon camarade tente de son côté un pari qui me semble insensé : voir et écrire sur tous les Cinématons tournés par Gérard Courant depuis 1977 !
Septembre 2012 : Je propose à quelques éminents blogueurs de ma connaissance de participer à un site collectif, Zoom Arrière, qui nous ferait voyager d'année en année pour voir ce qu'il reste aujourd'hui de toutes ces œuvres d'hier. Le Dr est l'un des premiers à répondre favorablement à cette invitation.
Février 2013 : J'annonce, sur mon blog principal, ma lassitude. Elle me poussera à ne plus l'alimenter que sporadiquement puis à l'abandonner complètement quelques mois plus tard pour repartir à zéro ailleurs, moins exposé et plus tranquille. Autour de moi, je vois les blogs cinéphiles fermer les uns après les autres ou bien être tenus de moins en moins régulièrement, les débats s'arrêter au bout de trois ou quatre commentaires, les discussions sur les films se dérouler plus volontiers sur les réseaux sociaux... Seuls quelques valeureux soldats tiennent bon. Le Dr est de ceux-là.
Juillet 2014 : Nous y voilà, le blog du Dr a dix ans, une éternité en années-internet. J'admire cette constance et cette longévité, le maintien, sans lassitude apparente, de la ligne de plaisir fixée dès le début, la longueur constante des notes proposées.
A propos de celles-ci, notre Dr joue d'ailleurs trop souvent la modestie, nous prévenant qu'elles sont laborieuses alors qu'elles sont parfaitement claires, ou bien, les comparant à une notule dans laquelle nous avons pu avoir une petite intuition, les estimant moins bonnes alors qu'il est beaucoup plus difficile d'appréhender un film "dans son ensemble" au fil d'un texte relativement long que d'en tirer un simple détail pour broder quelques lignes à son propos. Bien sûr, à force de lire régulièrement, on voit venir certaines tournures, surtout lorsqu'arrive le terrain politique, lorsqu'il s'agit de dénoncer l'académisme de la critique professionnelle ou les bien-pensants... Mais parmi nous autres blogueurs qui écrivons souvent sur le cinéma, qui peut estimer qu'il échappe à la redite, à ses tics et à ses réflexes ?
Un blog n'est pas une revue et le fort lien que l'on peut nouer avec l'un et l'autre n'est pas du tout le même. A la limite, nous pouvons lire avec un certain plaisir, chaque jour, les notes d'un blogueur aux goûts tout à fait éloignés des nôtres, mais qu'une revue aille régulièrement à l'encontre et nous cédons aussitôt au plus grand agacement. Avec le Dr, les divergences n'ont jamais manqué, mais les accords ont été et sont encore aujourd'hui tout aussi nombreux. Je lui suis de toute façon reconnaissant par exemple de continuer à défendre l'œuvre de Brian DePalma. Cela me pousse à argumenter sans relâche, au fil des visions et des révisions, à me forger mieux encore mon opinion : quoi qu'en dise mon ami et adversaire, Robert Altman est un bien plus grand cinéaste que le réalisateur de "Redacted". Je pourrais aussi le taquiner en lui demandant si cette année encore il compte mettre un Woody Allen dans son Top 10, mais il serait capable de me répondre en me demandant si je compte mettre à nouveau un film roumain dans le mien.
Je préfère donc terminer en insistant sur un autre point : nous pouvons tout de même observer en ces pages, avec plaisir, ce qui me semble être sans doute le grand écart le plus constant de la blogosphère, celui qui va par exemple de Philippe Garrel à Jess Franco, ou des Cinématons à quelques obscures séries Z érotico-horrifiques.
Souhaitons que cette position osée soit tenue durant des décennies encore. Longue vie au Journal Cinéma du Dr Orlof ! Santé et prospérité à son auteur !