Lorsque j’ai connu Thomas, il s’appelait Rob Gordon et il avait toujours raison. Je ne suis pas certain que nous ayons eu beaucoup de contacts à cette époque mais je me souviens très bien de sa très belle dernière note qui faisait un point extrêmement lucide sur ce qu’était devenue alors la « blogosphère » cinéphile (ça n’a pas été en s’arrangeant !). Après l’expérience de ce blog, Thomas a continué à écrire en créant un nouveau blog spécialement dédié au cinéma argentin qu’il connaît parfaitement et en participant aux sites Accreds, Playlist Society, Slate et Snatch magazine (sans se concentrer exclusivement sur le cinéma, d’ailleurs).

C’est surtout sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook) que nous avons entamé le dialogue.

Et dans la mesure où nos échanges ne sont pas aussi nombreux que ça, cette contribution m’a à la fois surpris et beaucoup touché.

Un grand merci à Thomas qui vient de fêter ses 30 ans et qui a l’élégance de m’offrir ce beau cadeau…

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Été 2104 : pour fêter le centenaire du Journal cinéma du Dr Orlof, le festival de Cannes présidé par Kevin Jacob (arrière-petit-fils de) dédie son film de clôture au blog le plus ancien et le plus riche de l'histoire du cinéma français. Après avoir diffusé en ouverture l'intégralité des 269 heures du Cinématon de Gérard Courant, dont le Dr Orlof est l'un des ardents défenseurs et une vedette occasionnelle (diffusion qui, en raison de la durée exceptionnelle du film, se termine pile au moment du lancement du film de clôture), la cent cinquante-septième édition du festival international du film boucle la boucle de la plus belle des manières.

 

Simplement intitulé Orlof, ce film collectif mis en scène par les vingt derniers cinéastes à avoir remporté la Palme (dont neuf femmes, deux africains et un jeune homme âgé de 16 ans) est constitué de segments de 8 minutes, chacun étant un morceau choisi des longues séances d'écriture du Docteur, filmé en temps réel à différentes étapes de sa vie. Par la grâce et la variété des mises en scène, et par le charisme de son seul protagoniste, ce film intemporel en dit plus sur la création, la pensée critique et la passion cinéphile que tous les ouvrages publiés sur le sujet au cours des cent dernières années. Acclamé pour son inventivité de tous les instants et pour l'émotion qu'il fait subtilement affleurer, Orlof bat le record de la plus longue standing ovation (une heure cinquante-quatre d'applaudissements nourris).

 

Le lundi suivant la projection unique de ce chef-d'œuvre, les quotidiens ne parleront que de cela, remisant la première Palme d'Or tchétchène en fin d'article pour ne parler que du choc esthétique et émotionnel que constitue cet Orlof de génie. Tous regretteront que le Docteur, devenu doyen de l'humanité quelques semaines plus tôt, n'ait pas honoré la salle Pierre-Lescure de sa présence. On attribuera aux larmes qui ont embrumé leurs yeux durant toute la projection le fait qu'ils n'aient pas aperçu ce vieil homme un peu courbé, affublé d'une longue barbe blanche et de lunettes fumées, attendre que le noir se fasse en début de séance pour s'installer sur un strapontin puis quitter la salle à pas de loup, le regard mouillé lui aussi, au moment du générique de fin. Ultime symbole de la modestie et de la discrétion de cet homme réservé et passionné qui n'a jamais utilisé le cinéma pour se mettre en avant mais qui, bien au contraire, s'est toujours placé en retrait pour laisser au cinéma toute sa place.

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