10 ans de blog : 54- Alexandre Mathis
Alexandre est très fort : nous ne nous connaissons pas mais il est parvenu à décrire avec un véritable discernement ce à quoi peut ressembler le quotidien d'un cinéphile dijonnais, y compris l'obligation de se rendre dans un hideux multiplexe non pas pour faire plaisir à un cousin mais à une amie (dans mon cas, il s'agissait de l'horrible Da Vinci codede Ron Howard). Une seule petite erreur : je ne me mets jamais au fond de la salle mais aux places stratégiques des cinquièmes ou sixièmes rangs.
Plus sérieusement, c'est une fois de plus grâce au blog d’Édouard (décidément!) que j'ai découvert Alexandre et surtout sur Twitter où nous avons commencé à nous disput... à échanger. Après avoir tenu pendant quelques années son propre blog Plan C., il écrit désormais pour des sites divers et variés : Playlist Society, Accreds, Filmosphère.
Alors effectivement, nous ne sommes pas toujours d'accord mais je serais bien évidemment heureux de partager cette bière qu'il propose en fin de contribution pour nous écharper sur Spielberg ou David Lean et je le remercie chaleureusement pour cette évocation très réussie.
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Le Doc et moi, on ne se connaît pas en vrai. Je ne sais pas s'il porte des cravates, des chapeaux, s'il chausse du 43 ou s'il aime les betteraves en entrée. Heureusement, on se lit car on aime se chamailler sur les films. Mais en plus de la cinéphilie, nous sommes reliés par autre chose : Dijon. Si on ne s'est jamais croisé, c'est la faute à un déménagement « à la capitale » pour moi. Ne riez pas, Dijon, c'est la place des émois cinéphiles de jeunesse, l'une de ces rares villes ne faisant pas partie des très grandes agglomérations où la cinéphilie peut s'émanciper. Alors peut-être qu'on se connaît le Doc et moi. Sûrement même avons-nous déjà partagé la même séance, sans le savoir, un soir de novembre, où la brume s'étendait sur la ville. A l'Eldorado (l'antre, le refuge, que dis-je, le lit douillet pour tous ceux qui veulent profiter des raretés qui sortent), Tropical Maladydévoilait ses charmes. Le Doc y a pesté contre l'affreuse salle 2. Plus qu'une salle, c'était une sorte de couloir avec au bout un écran, et un son qui grésille. Il paraît que le cinéma a été refait, c'est le Doc qui me l'a dit. Il me soutient aussi que les profs à la retraite parfumés à la mauvaise eau de Cologne viennent toujours maugréer contre les couleurs criardes du dernier Wes Anderson ou s'émerveiller devant le moindre rôle de Catherine Deneuve. Fais gaffe, c'est ce qui t'attend Doc ! A l'Eldo, lui et moi, on a chopé des maux de dos à cause de la salle 3, mais on a béni les propriétaires de ne pas avoir mis de distributeurs de friandises et surtout de nous épargner la publicité avant (presque) chaque séance. Chacun de notre côté, nos yeux se sont émerveillés devant les grands d'aujourd'hui. Alors, quand le Doc écrit une note sur le blog, je l'imagine (en ombre, puisque je ne sais pas à quoi il ressemble) assis au fond d'une salle de l'Eldo. Avant la séance, d'un coin de l’œil, il surveille un éventuel voisin inconvenant, de l'autre, il s'occupe à tweeter sur le prochain festival de Cannes. Parfois, le Doc va certainement jusqu'à la place Darcy. A côté, un autre petit cocon : le Devosge. « Quoi, tu n'as pas été à la rétro Eisenstein ! » pesterait-il contre moi. « Fonces-y, ils passent l'intégrale toute cette semaine ». A tous les coups, le Doc a rattrapé des pépites en fin de vie à l'ABC, cinéma aujourd'hui disparu, qui était un peu notre UGC Orient-Express à nous. Peut-être même le Doc s'est-il égaré un soir d'été dans la banlieue Nord de Dijon, dans l'affreux multiplexe Cap-Vert, à subir un mauvais blockbuster en VF pour faire plaisir à un neveu ou cousin. Ce qui est sûr, pour le Doc, comme pour moi, c'est que la découverte d'une purge ou d'un chef-d’œuvre s'accompagne du charme d'une soirée dans la capitale des Ducs. S'engueuler avec quelqu'un sur le nouveau Paul Thomas Anderson est tout de suite plus charmant quand ça se fait avec un kir (un vrai : crème de cassis et aligoté, pas vos trucs à la pêche ou à la mure). Alors un jour, avec le Doc, on sortira d'une quelconque séance, et autour d'une bière place du Bareuzai, on refera le monde ensemble. Il achèvera de me convaincre que je dois voir tout Bergman, je lui prouverai que Spielberg a fait de beaux films. N'est-ce pas une riche idée Doc ? "