De la nuée à la résistance (1978) de Jean-Marie Straub et Danièle Huillet (Editions Montparnasse)

 

 J’inaugure aujourd’hui une nouvelle rubrique consacrée aux sorties récentes de DVD. A priori, elle ne devrait pas être tellement fournie puisque lesdits DVD qu’il m’arrive de recevoir donnent lieu à des chroniques sous d’autres cieux. Mais si cela peut inciter les éditeurs à m’envoyer des copies de leurs nouveautés, ça vaut le coup de tenter !

Si je vous réserve cette fois la primeur de mes critiques à propos du deuxième coffret consacré à l’œuvre des Straub, c’est tout simplement parce qu’il s’agit d’un cadeau d’une de mes aimables voisines virtuelles. Inutile de préciser que je l’ai immédiatement demandé en mariage : une personne du beau sexe qui vous offre un coffret Straub, c’est une occasion qui ne se présente pas deux fois dans une vie ! Plus sérieusement (je réalise soudain que ça peut-être vexant de recevoir une déclaration d’amour un 1er avril !), je tiens à remercier très chaleureusement l’infatigable Vierasouto pour son généreux don et vous invite à aller visiter son blog !

 

Ce deuxième coffret est entièrement consacré aux films italiens des époux Straub. Je disais récemment à propos de leur Sicilia ! que ce film me semblait être une excellente entrée en matière pour aborder un cinéma, ne le cachons pas, assez aride. Je confirme cette impression et déconseille plutôt aux néophytes d’aborder l’œuvre straubienne par De la nuée à la résistance, film très intéressant au demeurant mais vraiment très difficile d’accès (du moins, en ce qui me concerne). Leur méthode est pourtant toujours la même : une œuvre littéraire (ici, deux textes de Cesare Pavese), une absolue fidélité au texte et à la langue et une manière assez unique (plans fixes, cadres impitoyablement rigoureux…) de confronter ce matériau littéraire au monde.

La difficulté pour le spectateur de De la nuée à la résistance, c’est de saisir d’emblée toutes les références culturelles évoquées dans le texte de Pavese et de pouvoir jouir de la beauté dudit texte.

Le film est scindé en deux. La première partie se déroule durant l’Antiquité et met en scène des personnages de la mythologie (Œdipe conversant avec Tirésias, par exemple). Occasion pour les Straub de réaliser un de leurs fameux films en toges et d’offrir aux spectateurs une réflexion sur la naissance des dieux et de l’aliénation.  La deuxième prend cours dans l’Italie de l’immédiat après-guerre et évoque le rôle de la résistance communiste au fascisme.

Cinéma politique, bien sûr, puisque les Straub analysent (de manière dialectique, devrions-nous sans doute écrire !) les processus de l’aliénation qui passent dans un premier temps par le sacrifice aux dieux (jugé nécessaire pour les bienfaits de l’agriculture), le sacrifice aux patrons (exploitation capitaliste) avant de déboucher sur la Résistance à cette aliénation (l’antifascisme communiste). « Le sujet du film est donc la négation de la négation. Retenez-moi, je m’envole. Je m’envolerais davantage, cependant, si j’étais sûr que l’antifascisme est une résistance à l’aliénation. Hélas ! je suis presque sûr du contraire, mais la discussion d’une telle question tombe bien en dehors de la présente chronique et de son objet... » (Jean-Patrick Manchette).

D’une certaine manière, c’est moins le discours qui m’intéresse dans ce cinéma que cette manière de l’incarner. Et j’avoue être toujours sensible à la minéralité du cinéma des Straub, à cette façon qu’ils ont de statufier leurs interprètes non professionnels (tous admirables) et de jouer sur les correspondances entre les époques. A ce long moment où Œdipe et Tirésias dialoguent de dos sur une charrette tirée par un homme tandis que défile le paysage répond ses longues séquences dans la deuxième partie où deux hommes s’entretiennent en marchant. (en fait, je me demande si pour apprécier les films des Straub, il ne faut pas aimer la marche à pied comme ici ou les voyages en train comme dans Sicilia !).

Au-delà des idéologies (les Straub sont marxistes et ne l’ont jamais caché), le film parvient à toucher par son absolu « matérialisme ». Avant les dieux et les patrons, il y avait la terre, cette terre confisquée par une minorité aux dépends des autres. Les cinéastes reviennent à ce monde originel et le filme dans toute sa majesté (même si le film n’a absolument rien de décoratif).

C’est ardu mais, au bout du compte, toujours stimulant…

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