Institut Benjamenta (1995) des frères Quay avec Mark Rylance, Alice Krige (ED Distribution)

 http://www.eddistribution.com/photos/benj1.jpg

Lorsqu’on songe au cinéma britannique, c’est souvent l’image d’un cinéma réaliste et engagé qui vient à l’esprit (Ken Loach, Mike Leigh, les premiers Stephen Frears). A l’opposé, il existe également un cinéma anglais très composé et « artistique » qui peut s’avérer aussi ennuyeux qu’un dimanche pluvieux (les pensums compassés de Terence Davies) ou riches en plaisirs ludiques et intellectuels (Greenaway dans ses bons jours).

Les frères Quay appartiennent évidemment à cette seconde catégorie même si leur cinéma va encore plus loin du côté de l’insolite et du surréalisme. Peu vus en France, les jumeaux se sont faits connaître par leurs films d’animation, leurs publicités, leurs clips avant de franchir le cap du long-métrage avec cette adaptation d’un court roman de l’écrivain suisse allemand Robert Walser (ils réaliseront 11 ans plus tard un deuxième film : L’accordeur de tremblements de terre).

Le hasard veut que je découvre cet Institut Benjamenta quelques jours après un autre film totalement surréaliste, le génialissime Valérie au pays des merveilles du cinéaste tchécoslovaque Jaromil Jires. Pourquoi revenir une fois de plus à ce titre ? Peut-être pour souligner le fait que je suis nettement plus sensible à ce surréalisme débridé, lyrique et sensuel venu d’ex-Tchécoslovaquie qu’à l’univers finalement assez froid des frères Quay.

 

Soyons honnête : les amateurs d’insolite en auront pour leur argent en découvrant l’histoire de Jakob, un jeune homme terne et effacé qui souhaite intégrer le fameux Institut Benjamenta où l’on forme les individus à devenir des domestiques. Le film est visuellement superbe, réalisé dans un noir et blanc très contrasté et qui varie selon les séquences : il est parfois d’une netteté absolument parfaite (le côté « arty » du film) et devient ensuite plus flou, plus charbonneux.

Bien malin celui qui parviendra à trouver une trame dans ce film qui progresse davantage par « tableaux » où les frères Quay s’amusent sans arrêt à brouiller les pistes. Il ne s’agit pas d’ailleurs d’une adaptation à proprement parler du roman (que je n’ai pas lu, ce que je regrette car j’ai adoré La promenade du même Walser) mais d’une sorte de variation où la vie de l’écrivain et son univers sont mis en scène directement.

Le film navigue alors entre des chorégraphies absurdes aux frontières du burlesque (les épatantes séquences où les domestiques « s’entraînent » à mettre le couvert ou à bien tenir leurs serviettes) et des déambulations kafkaïennes au cœur des recoins sombres de cet institut mystérieux (les frères Quay réussissent d’ailleurs là où Soderbergh s’était planté en réalisant Kafka).

De ces tableaux semble également se détacher un embryon d’histoire d’amour entre Jakob, le héros du film, et Lisa Benjamenta, la sœur du directeur de l’institut. Cela donnera lieu à quelques jolis passages où ils déambulent tous les deux dans les couloirs de l’institut et où les cinéastes trouvent de belles idées visuelles pour suggérer cet amour étouffé dans l’œuf.

Face à ce voyage au cœur de l’insolite, le cinéphile se raccroche à un certain nombre de références et est tenté de voir ici une allusion aux contes de fée, là un hommage au cinéma muet (entre Keaton pour l’allure du personnage principal et Murnau pour le côté expressionniste de l’œuvre) et pourquoi pas même quelques allusions à Eraserhead de David Lynch.

Encore une fois, on admire la perfection visuelle de l’ensemble, la beauté du cadre et la manière qu’on les frères Quay de faire naître de l’insolite à chaque instant (l’utilisation des verres grossissants, par exemple. Mais d’une certaine manière, tout le film tourne autour de l’œil et de l’idée que le regard n’embrasse jamais qu’une toute petite partie de la réalité, à l’image de ce moment où Jakob pense vraiment qu’un singe est en train de lui parler car il n’a pas suffisamment élargi sont champ de vision).

Pourtant, il faut aussi reconnaître que le film nous a laissé un peu froid, partagé entre une véritable admiration et un ennui poli.

Contrairement à Valérie au pays des merveilles (désolé d’insister), Institut Benjamenta ne m’a ni envoûté, ni vraiment fasciné. La construction de ces rêves a quelque chose de trop parfait qui finit par empêcher une véritable émotion de naître.

Ca reste néanmoins une œuvre étonnante à laquelle il ne faut pas hésiter à jeter un œil.

 

NB : Les mêmes remarques me viennent à l’esprit à propos de Song for dead children (2003) et Eurydice She, so beloved (2007), deux courts-métrages offerts en bonus de ce DVD. Même perfection technique et un talent indéniable des cinéastes pour créer des univers cohérents dans le surréalisme et l’insolite. Mais également même « froideur » qui m’a empêché d’être ému dans les deux cas.     

Retour à l'accueil